Les Européens sont écartés par Washington des négociations sur l’Ukraine qui s’annoncent avec Moscou.
Une volte-face américaine qui met au jour la faiblesse militaire criante du Vieux continent.
Avec une Alliance transatlantique au plus mal, la sécurité de l’Europe est à repenser entièrement.
Suivez la couverture complète
Ukraine : bientôt trois ans de guerre
En quelques jours à peine, les certitudes européennes les plus solides ont volé en éclats. En discutant avec le seul Vladimir Poutine du sort de l’Ukraine, et en écartant les Européens des négociations à venir, Donald Trump a mis à mal l’Alliance transatlantique sur laquelle reposait la Défense du Vieux continent depuis 1949. Plusieurs pays européens se sont réunis à Paris ce lundi pour discuter de l’attitude à adopter après ce tremblement de terre, qui semble avoir plongé dans la stupeur les participants du Sommet sur la sécurité de Munich ce week-end. Laissée seule, après cette volte-face de son allié le plus puissant, l’Europe doit repenser sa stratégie de Défense, après des décennies d’atermoiements.
Une défaillance historique
Le 24 février 2022 a refermé une parenthèse enchantée historique de près de 80 ans. Bannie du Vieux continent depuis le 8 mai 1945, la guerre est revenue aux portes de l’Europe, menaçant l’existence même d’un pays voisin, ami, et candidat à l’adhésion, l’Ukraine. La réponse du bloc occidental, comprenant les pays européens et les États-Unis de Joe Biden, aura été de ne pas intervenir militairement, tout en frappant Moscou de sanctions, et en soutenant Kiev matériellement. Si certaines voix se sont alors fait entendre pour repenser l’indépendance militaire de l’Europe, celle-ci est parvenue à différer de trois ans la remise en question de son modèle, jusqu’à ce que Donald Trump confirme, en quelques jours, tout ce qu’elle redoutait de son retour à la Maison Blanche.
L’Otan est née en 1949, avec pour vocation de défendre l’Europe des velléités expansionnistes de l’URSS, en s’appuyant sur l’allié qui avait permis sa libération du joug nazi, les États-Unis. À ce jour, 29 des 32 pays de l’Alliance sont européens, qu’ils appartiennent ou non à l’UE. Seuls l’Irlande, l’Autriche, Malte et Chypre, sont membres de la seconde sans appartenir à la première.
À l’abri de ce bouclier armé, l’Union européenne s’est longtemps pensée comme une entité politique et économique, sans besoin militaire commun. L’union progressive des pays qui avaient été les principaux belligérants de la Seconde Guerre mondiale dans un camp ou un autre a, de facto, tenu les conflits armés à distance. Le rapprochement de Washington avec Moscou a fait comprendre à beaucoup de dirigeants européens, en moins d’une semaine, que cette béquille militaire pourrait bien se dérober. Pour la première fois depuis la création de l’Otan, un président américain a privilégié sa relation avec un tiers, contre l’avis et les intérêts des pays membres.
Des budgets militaires disparates
Une des difficultés majeures rencontrées par les pays membres de l’UE pour parvenir à une politique militaire commune est celle des budgets. Chaque État est souverain en termes de dépense militaire, en fonction de ses priorités, de sa taille, ou du niveau de menace qu’il estime subir. Ainsi, plus les pays sont proches de la Russie, plus ils dépensent en proportion de leur budget, détaille-t-on dans la vidéo en tête de cet article. La part des dépenses militaires de la Pologne s’établit à 4,1% de son budget, et celui de l’Estonie à 3,4%. Tandis que la France ou l’Allemagne les plafonnent à 2,1%. Plusieurs membres de l’UE ont d’ailleurs fortement augmenté leurs dépenses militaires depuis 2022, la Suède les accroissant même de 30%.
Mais ces dépenses sont affectées aux armées nationales de chacun de ces pays, avec très peu de dépense en commun. Seuls 18% des achats militaires européens sont mutualisés, une part que l’Union européenne s’est promis de passer à 40% à l’horizon 2030. Et chacun achète ce qu’il estime lui être nécessaire, indépendamment des choix des autres, ce qui génère l’autre grand écueil pour harmoniser la Défense européenne : l’absence d’homogénéité.
Une armée hétéroclite
Car les armées européennes ne sont, en l’état, pas compatibles entre elles. Leurs organisations et leurs systèmes de communications sont différents, les équipements sont variés, et ne peuvent souvent tout simplement pas fonctionner ensemble. Les commandes passées hors de l’Europe rendent l’harmonisation encore plus complexe. Les trois quarts des armes achetées par les pays européens sont importées, principalement… des États-Unis, où sont basées presque la moitié des 100 plus importantes entreprises d’armement. Les dépenses cumulées des Vingt-Sept, même en l’état, pourraient faire de l’Europe la seconde armée au monde. Mais cette absence de coordination ne fait que juxtaposer de petites armées qui peinent à travailler efficacement ensemble, comme le démontrent les exercices conjoints organisés ces dernières années.
En mars 2022, un mois après l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, l’Union européenne a adopté une « boussole stratégique », pour définir les orientations de sécurité et de Défense à l’horizon 2030. Une initiative qui signale une prise de conscience collective, mais ne semble pas adaptée à l’urgence générée par l’accord annoncé entre Washington et Moscou. Si les dirigeants européens réunis ce lundi 17 février à Paris par Emmanuel Macron venaient à impulser la création d’une politique militaire véritablement commune, et indépendante de l’Otan, ce qui est loin d’être acquis tant les positions divergent, elle mettrait des années à voir le jour.