mardi, mai 21
Francisco Hyjno Kraho et Luzia Kruwakwij Kraho dans « La Fleur de Buriti », de Joao Salaviza et Renée Nader Messora.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Attention, zone de pleine beauté. Du geste (une fiction partagée avec un peuple amérindien), du paysage (le fragile et luxuriant paradis amazonien), du cinéma (dans sa fonction primitive de révélateur de mondes). L’auteur(e) est en soi une association. Elle, Renée Nader Messora, réalisatrice brésilienne qui travaille depuis une quinzaine d’années avec les Indiens du Cerrado. Lui, Joao Salaviza, réalisateur portugais révélé en 2015 avec un remarquable film de formation, Montanha, sur lequel Renée est assistante.

En 2018, non contents d’avoir trouvé l’accord sentimental, ils coréalisent leur premier film, Le Chant de la forêt, petite merveille tournée avec la collaboration du peuple kraho, du village de Pedra Blanca, après neuf mois d’immersion parmi eux. Un jeune homme, Ihjac, y était en proie à la mélancolie du deuil causé par la mort de son père – un aïeul puissamment intranquille en son devenir fantômal – et tournait obstinément le dos à la vocation de chaman que lui enjoignait un mauvais esprit habillé en perroquet. Le prophète Jonas venait à l’esprit, sauf le respect du donneur d’ordre biblique.

Nous y revoici, après le passage remarqué du film au Festival de Cannes en mai 2023. La jungle. La voûte nocturne constellée d’étoiles. Les contre-plongées saisissantes sur les visages qui psalmodient un chant sensuel consacré à la fleur du palmier Buriti. Chœur concertant des voix, percussions lancinantes, imprécations itératives, raccord sur une jeune femme au travail d’enfantement : tout ici, dans ces quelques plans liminaires, évoque une célébration panthéiste de la vie, en même temps qu’une sorte de réminiscence formelle – angles, raccords, puissance plastique – de l’avant-garde soviétique.

Lire la critique (à Cannes, en 2023) : Article réservé à nos abonnés « La Fleur de Buriti », les liens sacrés du peuple Kraho

L’impression se précisera en avançant dans le film. Il s’agira, en attendant, de déplier un récit qui n’offre pas toutes les garanties et certitudes du manuel de scénario courant. Récit – comme le ciel étoilé – fusant dans toutes les directions, bousculant les époques, mêlant l’ici-bas et l’au-delà, brassant le tellurique et le cosmique, le combat politique et l’esprit des rêveurs, les hauts faits de la nation et les cauchemars d’une enfant. Un film qui se soucie moins, en un mot, d’avancer que de creuser, délaissant l’horizontalité du récit au profit d’une verticalité qui relie l’enracinement terrestre et la communion avec les sphères célestes.

Trois temporalités distinctes

La part ingrate étant, naturellement, réservée à la critique, contrainte de se raccrocher pesamment aux branches de la rationalité dissertative. Disons, pour aller à l’os, qu’il y aurait ici quatre personnages principaux autour desquels le film distribue trois temporalités distinctes. On a nommé Patpro, la mère ; et sa fille ; Hyjno, l’oncle de Patpro ; et la femme de ce dernier, Cruwakwyj. Le fil narratif consiste en ce que, inquiète des cauchemars de sa fille, soupçonnée d’être la proie de l’esprit d’un mort, Patpro s’en va à Brasilia accompagnée de son oncle, pour y trouver un remède, laissant au village tant sa fille que Cruwakwyj, laquelle arrive au terme de sa grossesse et s’inquiète du retour d’Hyjno.

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