lundi, novembre 18

La détonation qui a secoué le quartier les a laissés imperturbables. En apparence. Assis sur des chaises en plastique dans un petit café de Ghobeiry, Hassan et Mohamed, la quarantaine et les yeux rougis par une nuit sans sommeil, ont tous les deux une jambe qui tremble sans interruption. Les deux voisins, chauffeur et restaurateur, disent être physiquement et nerveusement épuisés. Dans ce fragile îlot de vie, malgré l’odeur de brûlé qui emplit l’air, on devise autour de narguilés, les yeux fixés sur les téléphones portables, en essayant de localiser la dernière cible de l’armée israélienne. « L’immeuble de cinq étages près du garage ? »

Pour ces habitants de la banlieue sud de Beyrouth, la Dahiyé, à majorité chiite, la peur a un visage qui s’affiche quotidiennement sur le réseau social X, celui du colonel Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne. C’est lui qui annonce les bombardements. Lui qui contraint les rares personnes qui continuent à dormir dans la Dahiyé, vidée de son million d’habitants, à se relayer la nuit pour veiller sur les réseaux sociaux quand les autres dorment. Au petit matin, des hommes en armes tirent en l’air pour enjoindre aux plus assoupis de quitter leur domicile.

Ce 14 novembre, Hassan et Mohamed sont partis précipitamment vers 3 heures et ont dormi dans une voiture avant de revenir. « Même les oiseaux fuient cet endroit », constate Hassan, amer, en désignant un vol groupé de mouettes prenant la direction de la mer. Les deux hommes ont évacué leur famille depuis un mois, mais sont restés pour surveiller leurs appartements et ceux des voisins. Ils se disent « civils, éloignés de la politique ». Mohamed, qui a travaillé « plus de quinze ans en Côte d’Ivoire », passe de l’arabe à un français mâtiné d’accent ivoirien pour évoquer un avenir en suspens : « Je suis rentré pour ouvrir un commerce. J’ai un restaurant, cinq employés et autant de familles à nourrir. Il est fermé depuis le 23 septembre [le jour où des frappes ont tué 569 personnes dans le pays, dont un grand nombre dans la Dahiyé]. D’accord, j’ai encore un chez-moi. Mais pour combien de temps ? »

Plaies béantes

Ibrahim, qui ne cache pas ses sympathies pour le Hezbollah, passe lui aussi ses journées dans la Dahiyé. Le chauffeur de taxi de nuit de 28 ans, dont l’épouse et la petite fille sont parties se réfugier entre Saïda et Nabatiyé, une région pourtant exposée aux tirs israéliens, est resté surveiller son quartier avec quelques voisins dans la partie sud de Haret Hreik, un secteur commerçant de la classe moyenne, où le Hezbollah abrite les QG de ses associations. « Sans eau ni électricité ni commerce pour se ravitailler. » Son immeuble est miraculé, deux bâtiments contigus ont été détruits par les frappes. S’il « soutient sans réserve la résistance », il l’assure : « Il n’y avait pas d’armes. Auquel cas tout le quartier aurait sauté. » Un argument souvent entendu chez les sympathisants du Hezbollah.

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