vendredi, mai 3

Spécialiste d’histoire politique et sociale du XXe siècle, Claire Andrieu est professeure émérite des universités en histoire contemporaine à Sciences Po Paris. Elle a été rédactrice en chef de Violence de masse et Résistance (Sciences Po, CERI) de 2011 à 2018. Ses recherches scientifiques se concentrent actuellement sur l’histoire comparée des sociétés en guerre et sur l’engagement politique en France de la fin du XIXe siècle à nos jours. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages et articles scientifiques, dont « La Résistance revisitée à l’aune de l’aide aux soldats et aviateurs alliés », dans « Dossier thématique », dans La Lettre de la Fondation
de la Résistance
, n° 107, décembre 2021, p. I-V.

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : Résistants », février 2024, en vente dans les kiosques ou sur le site de notre boutique.

Que signifie, selon vous, la panthéonisation de Missak Manouchian le 21 février 2024 ?

Elle marque la reconnaissance par la République de l’aide apportée à la Résistance par les étrangers. Elle salue aussi ce qui a souvent été leur sacrifice, parce que l’étranger était plus identifiable que le Français, mais aussi car l’immigration étrangère était parfois proche du Parti communiste. Ces résistants répondaient à l’image stéréotypée qu’avait l’armée allemande de la Résistance. Pour les nazis, la Résistance ne pouvait être qu’un mouvement « terroriste » et « judéo-bolchevique ». Si Missak Manouchian avait été juif, il aurait parfaitement répondu au portrait nazi de la Résistance. Il est nécessaire, quand on parle de la Résistance, de parler de l’Occupation. On ne la comprend plus très bien aujourd’hui, parce que l’image de l’Allemagne est totalement transformée. C’est un autre pays et un autre peuple. On a oublié la culture politique régnant en Allemagne de 1933 à 1945.

Justement, où en est le débat historiographique sur la Résistance en France ?

Le débat est relativement apaisé aujourd’hui. Il a connu des tensions par le passé, comme dans les années 1970, où l’on se préoccupait beaucoup de définir la Résistance. Est-ce que l’on peut mettre tout geste d’opposition dans la Résistance ? Avec l’historien Pierre Laborie, on est arrivés à la définition selon laquelle la Résistance est un acte délibéré d’hostilité à l’égard de l’occupant. Ce débat a disparu. Actuellement, tout acte d’opposition, de non-insertion, de non-consentement au système vichysto-nazi est étudié comme une porte ouverte vers la Résistance, un début de résistance.

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Cette évolution enrichit beaucoup les recherches et permet d’y inclure toutes sortes d’incivilités à l’égard de l’occupant. On peut penser qu’elles ont un impact nul, alors qu’elles portent atteinte au moral de l’occupant. Par exemple, cette femme qui, sortant du cinéma, sur les Champs-Elysées, doit subir avec les autres spectateurs un contrôle d’identité effectué par des soldats allemands. En reprenant ses papiers d’identité, elle dit  : « Sale Boche. » Elle est arrêtée et internée quelque temps à la prison du Cherche-Midi. Autrefois, les historiens n’auraient même pas relevé ce geste. Aujourd’hui, on considère que cela fait partie de la définition du rapport de la société à l’occupant.

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