lundi, septembre 16

« Je n’avais que 12 ans quand j’ai quitté mon village, mon pays, sans savoir si mon père était encore vivant », raconte, la voix serrée, Marinos Kleanthous, alors que Chypre célèbre dans la douleur les 50 ans de la partition de l’île en deux. Le 20 juillet 1974, l’adolescent d’alors a dû quitter avec sa famille son village, Assia, dans la partie nord de l’île de Chypre. Les forces turques venaient de débarquer à l’aube, il se souvient du brouhaha des avions et des chars, et de son innocence qui s’est volatilisée à jamais… En 1974, un coup d’Etat de l’extrême droite, souhaitant le rattachement de Chypre – indépendante depuis 1960 – à la Grèce, soutenu par la dictature des colonels au pouvoir à Athènes, renverse le président chypriote, l’archevêque Makarios. Ankara s’inquiète pour la sécurité de la communauté turque sur l’île et intervient. Au total, de 180 000 à 200 000 Chypriotes grecs fuient le Nord vers le Sud.

« Avec ma famille, nous n’avons pas eu le temps de nous enfuir. Nous sommes restés coincés pendant quinze jours à Assia. Mon père et d’autres hommes ont été embarqués par des soldats turcs et nous n’avons jamais su où ils étaient partis », murmure, ému, Marinos. Dans le village de 2 700 personnes d’Assia, 97 Chypriotes grecs ont été exécutés. Leurs restes, jetés dans des puits, n’ont été découverts que partiellement trente ans plus tard. Le père de Marinos fait partie des plus de 1 600 Chypriotes grecs portés disparus après l’invasion de 1974. Plus de 1 000 ossements ont été retrouvés par le Comité des personnes disparues à Chypre, mais seule la moitié d’entre eux a pu être identifiée.

Au bout de deux semaines, Marinos et sa famille ont pu être évacués par l’ONU dans le sud de l’île. « Ma tante avait entendu à la radio que des enfants partaient pour la Grèce depuis le port de Limassol. Ma mère, tous les matins, allait à Nicosie pour essayer d’avoir des nouvelles de mon père et elle a pensé que c’était plus sûr pour moi de me réfugier en Grèce », relate le sexagénaire. Avec sa cousine et son cousin, ils embarquent sur un bateau pour le port du Pirée, en Grèce. Des enfants criaient, d’autres pleuraient. Des avions turcs survolaient le navire et ils avaient ordre de ne pas rester sur le pont.

Sujet longtemps caché

Odysseas Christou était aussi à bord. « Nous n’étions que des enfants, nous ne nous rendions pas compte du danger », se rappelle-t-il. Sa fuite d’Exo Metochi, à quelques kilomètres de Nicosie, il s’en souvient bien : des champs en feu, des soldats cachés avec des mitraillettes, et cet arrêt de plusieurs jours dans une base anglaise avec 40 000 autres réfugiés. « Tu ne pouvais pas faire pipi sans qu’une personne te voie, note le retraité. Nous manquions de tout et nous avions peur d’une attaque des Turcs sur la partie sud de l’île. Mon père m’a dit : “Tu dois raconter notre histoire, tu dois partir en Grèce et survivre.” »

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