Lorsqu’il accède, au printemps 2018, à la tête de la prestigieuse banque fondée par son père, David, Alexandre de Rothschild n’a qu’un diplôme d’une petite école de commerce. Mais la parfaite éducation de cet homme de 37 ans fait de lui une sorte de prolongement de ce père si apprécié du monde économique, et d’un nom qui charrie à la fois les fantasmes les plus vils et un prestige certain dans les milieux d’affaires. Il sait aussi qu’il assiéra sa légitimité s’il résout d’emblée un sérieux problème : le conflit qui empoisonne les siens depuis trois ans.
A l’époque, rien ne va plus entre les branches française et suisse de l’emblématique famille née au XVIIIe siècle au cœur de l’Europe. Côté suisse, Benjamin, né en 1963 (et mort en 2021), n’a pas le vernis policé de ses cousins français David et Alexandre ; il multiplie les transgressions. Sa mère, Nadine, une ancienne actrice devenue baronne en épousant Edmond de Rothschild (1926-1997), a pourtant écrit des manuels de savoir-vivre et un opuscule intitulé Réussir l’éducation de nos enfants (Favre, 2009), mais Benjamin ne semble respecter aucune convention. En 2007, il s’est même retrouvé en garde à vue après avoir visé au laser, de son hôtel particulier parisien voisin de l’Elysée, une policière en faction devant le palais présidentiel. Huit ans plus tard, en 2015, miné par ses addictions, il a fini par abandonner à son épouse, Ariane, la tête du groupe dont il a hérité et qui figure parmi les plus importants établissements bancaires suisses.
Ariane de Rothschild est bien plus « carrée » que son époux. En devenant la première femme à diriger un établissement Rothschild, elle a décidé d’asseoir son autorité en assignant en justice son cousin français David pour « concurrence déloyale » après une plainte déposée pour « utilisation abusive du patrimoine familial ». Ce « patrimoine familial », c’est le nom même de Rothschild. Selon elle, il n’est pas question que deux banques concurrentes – l’une suisse, l’autre française – aient la même appellation.
En réalité, cette bataille autour de l’usage du nom de la famille cache d’autres blessures. L’antagonisme entre les deux branches remonte en effet à la génération précédente : le père de David (donc le grand-père d’Alexandre), le très chic baron Guy de Rothschild, ne cachait pas son mépris pour son cousin Edmond, le poussant à s’exiler en Suisse et à monter sa propre banque. A la génération suivante, David, pourtant réputé pour ses talents de diplomate, n’a guère été plus habile avec Benjamin et Ariane et le conflit s’est mué en guerre totale.
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