La Madone-de-l’Arc a un teint de porcelaine et la joue gauche ensanglantée. Cette icône, chérie des Napolitains les plus dévots, se démultiplie en fresques et statuettes dans le local de l’association liturgique dédiée à sa vénération, niché dans l’entrelacs de ruelles aux dalles sombres du quartier Mercato-Pendino. On lui prête des guérisons miraculeuses, mais derrière la porte de ce petit sanctuaire s’accomplissait une autre prouesse : la multiplication des faux billets de 20, de 50 et de 100 euros.
Des spécimens plus vrais que nature, stockés dans cet insoupçonnable rez-de-chaussée transformé en coffre-fort par un groupe de faussaires mené par trois beaux-frères. Les transactions s’opéraient aux horaires de bureau – 9 heures-17 heures la semaine, 9 heures-12 heures le dimanche –, sur les trottoirs alentour ou au comptoir du bar Vigilante, un troquet situé au bout de la rue.
Comme cet après-midi du 26 janvier 2023, où, sans se douter qu’ils ont été mis sur écoute par les carabiniers, les faux-monnayeurs attendent deux clients étrangers. « Y’a des Français qui arrivent aujourd’hui, à 16 heures, à Capodichino [l’aéroport de la ville] », dit l’un. « Le temps de faire l’échange, et après ils peuvent rester là où ils veulent, nous on s’en fout. (…) Ces types, on sait pas qui ils sont mais on peut aller au bar en face », réplique son compère. Quelques instants plus tard, les hommes font affaire en pleine rue, et se séparent aussitôt, comme si cette rencontre n’avait jamais existé.
Les deux clients français ont à peine réceptionné leur commande qu’ils filent vers l’aéroport. Ils sont interpellés à 19 h 30, avant d’avoir pu monter dans le vol retour, avec, dans leur bagage, 329 faux billets de 50 euros et 50 billets de 100 euros. Cette interpellation est effectuée dans le cadre d’une enquête au long cours visant la filière de revente implantée dans ce quartier labyrinthique.
Car, derrière le tohu-bohu du Mercato-Pendino, prospère un discret réseau à l’organisation militaire diffusant la majorité des fausses coupures en circulation en Europe (467 000 billets falsifiés ont été saisis en 2023, en hausse annuelle de 24 %, selon la Banque centrale européenne). Plus de 50 % de ceux saisis en France, le premier marché du continent, proviennent de Naples, selon l’Office central de répression du faux monnayage (OCRFM).
Dans l’affaire du quartier Mercato-Pendino, 63 individus ont été interpellés sur plusieurs mois, jusqu’au début d’avril. Ils sont soupçonnés d’avoir falsifié 60 millions d’euros au total. Outre les deux acheteurs français pris la main dans le sac, un Italien, déjà emprisonné à Grasse (Alpes-Maritimes) pour des affaires de trafic de stupéfiants, serait l’un des relais en France de ce réseau de contrefacteurs baptisé « Napoli Group » par les enquêteurs internationaux.
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