dimanche, juin 30

La dissolution. La di-sso-lu-tion. Julien (il n’a pas souhaité donner son nom) répète le mot encore une fois. Il n’en revient pas. « La dissolution m’a réveillé. Je me suis dit : ça y est, c’est ma chance. » Julien est un grand garçon timide, barbe brune, la trentaine, qui malaxe un paquet de tracts pour le Nouveau Front populaire (NFP) avec l’air de ne savoir qu’en faire. « Allez, donnez-m’en un, vous me faites pitié », plaisante une femme sous un parapluie rose. Julien est si ému qu’il n’entend pas, elle doit lui prendre le papier des mains. Elle travaille dans un collège, ici à Bourges, dans le Cher. Electrice de gauche. Très impatiente d’exprimer son vote, mais pour qui ? Décidée à éviter une catastrophe nationale, mais laquelle ?

Elle parle de ce sentiment de flou et de gravité à la fois, du silence plombant dès qu’on parle politique à la cantine, alors que monte une irrépressible excitation à l’approche du scrutin. A deux jours du premier tour des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, les procurations frôlent les 3 000 à Bourges, contre 600 pour les européennes. Elle aussi veut en être, mais c’est si douloureux. Accepterait-elle de témoigner en son nom ? « Vous n’y pensez pas, avec la situation ! Nous vivons dans des petites villes et des campagnes, pas à Paris. »

Alex Charpentier, 25 ans, qui a été en 2022 le candidat du PS aux élections législatives, sur le marché Saint-Bonnet à Bourges, le 16 juin 2024.

Pour Julien, c’est le premier jour de sa première campagne, tractage et porte-à-porte. « Tous ces gens qui viennent vers moi, je ne sais pas comment me comporter, je ne me sens pas à l’aise », dit-il. Depuis cinq ans, il était en télétravail pour une boîte d’informatique, vie recluse, les amis qui s’éloignent un à un, le téléphone muet. Pour se frotter au monde, peut-être, il s’était risqué à une manifestation sur les retraites, un après-midi, à l’hiver 2023. Sa mère lui avait lancé : « Tu es syndiqué ? » Elle le transperçait du regard. « Je crois qu’elle aurait préféré me savoir gay. Je viens d’une famille de droite, qui défend la valeur travail. » Quand une candidate de La France insoumise (LFI) pour le Nouveau Front populaire a lancé un appel sur les réseaux sociaux pour sa campagne dans la 3e circonscription du Cher, Julien venait d’être fraîchement licencié. Une pensée l’a traversé : « Je vais rencontrer des gens. »

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Cette journée de juin, une douzaine de volontaires se sont ainsi donné rendez-vous au Val-d’Auron, quartier au sud de Bourges, sur les rives d’un grand lac. Jadis résidentiel chic, il a lentement glissé en zone prioritaire. Des militants LFI, jeunes, fougueux, constituent le gros de l’équipe, ambiance conviviale. « Quand on est jeune, on est LFI », s’enthousiasme Nicolas Malin, en congé sans solde dans l’informatique. Il revient d’un tractage à la campagne. Dégoûté. « Ils m’ont craché dessus, alors que je suis du coin. » Emma Moreira est la benjamine du groupe : 21 ans, blouson en jean découpé en bustier, piercing, étudiante aux Beaux-Arts de Bourges. La candidate Nouveau Front Populaire, c’est elle, galons gagnés en tête des mobilisations contre Parcoursup ou la réforme des retraites.

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