Depuis la funeste dissolution de l’Assemblée par Emmanuel Macron, le 9 juin 2024, qui a fragilisé le pays, l’exception est en passe de devenir la règle. Comme l’an dernier, la loi spéciale, qui permet de financer temporairement l’Etat, les administrations et les collectivités, a été adoptée par le Parlement, mardi 23 décembre, faute d’accord sur le budget. Ce vote vient clore deux mois et demi de débats infructueux, députés et sénateurs n’étant pas parvenus à concilier leurs vues le 19 décembre, en commission mixte paritaire.
Pour Sébastien Lecornu, dont la mission était de faire voter avant la fin de l’année les deux textes budgétaires, c’est un demi-échec qui vient assombrir l’adoption du budget de la Sécurité sociale. Le premier ministre avait consacré sa méthode (le compromis) et semblé faire évoluer les esprits dans une Assemblée fragmentée, même si l’accord avait été jugé imparfait et coûteux par toutes les parties.
Concernant le budget de l’Etat, l’équation était plus délicate encore, les parlementaires de gauche ayant laissé entendre qu’ils pourraient difficilement s’abstenir, encore moins voter pour, à moins de rejoindre la coalition gouvernementale, ce qui paraît improbable si près de la présidentielle. Dont acte.
Même si le risque d’un shutdown à l’américaine est évité et que l’économie française se montre résiliente, cette procédure transitoire n’est pas sans conséquences. Bercy affirme que la précédente loi spéciale a coûté 12 milliards d’euros, un chiffrage qui ne fait pas l’unanimité, mais qu’importe : celle-ci a un coût. Certains investissements seront bloqués, dans la défense ou l’énergie notamment. Sur le plan fiscal, 200 000 foyers pourraient entrer dans l’impôt sur le revenu, la loi spéciale ne permettant pas d’indexer son barème sur l’inflation. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, recourir à celle-ci ferait en outre perdre 6,5 milliards d’euros de recettes à l’Etat en 2026.
Interminable feuilleton
En reportant les débats à janvier, la loi spéciale prolonge l’interminable feuilleton budgétaire, à l’issue incertaine. M. Macron a demandé que le gouvernement accélère. M. Lecornu et la ministre du budget, Amélie de Montchalin, qui ont engrangé des gains politiques en faisant naître un compromis sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, espèrent toujours le même succès sur le budget de l’Etat, en le faisant voter sans recourir à l’article 49.3 de la Constitution. Mais rien ne dit qu’un accord puisse être trouvé en janvier, alors que les parties n’y sont pas parvenues en décembre.

Mardi soir, M. Lecornu s’est dit « persuadé » que l’adoption d’un budget était « possible si les calculs politiques [étaient] mis de côté », ajoutant que « prendre le temps » n’était « pas une faiblesse ». Mais le premier ministre a laissé entendre aussi que le gouvernement saurait prendre ses « responsabilités ». Avoir recours à l’article 49.3, qu’il avait promis de ne pas utiliser, l’obligerait à revenir sur sa parole. Aura-t-il le choix, s’il veut éviter l’enlisement ?
Alors que l’endettement du pays est croissant, et qu’aucune trajectoire de réduction des déficits n’a été actée, la prolongation ad nauseam des débats a aussi des conséquences politiques. Ces interminables consultations non conclusives, auxquelles les Français restent en grande partie hermétiques, et alors que tant d’autres sujets les préoccupent, nourrissent l’impression d’un pouvoir empêché. Elles alimentent aussi la fatigue démocratique et la défiance, à seize mois d’échéances électorales périlleuses. Un puissant carburant pour les extrêmes. Il est urgent de sortir de l’impasse.




