jeudi, novembre 7

Avec les discussions houleuses sur le budget 2025 à l’Assemblée nationale, la question de la dette publique est revenue sous les projecteurs. Au-delà de son niveau élevé (112 % du PIB), la dette inquiète par les coûts croissants qu’elle engendre pour l’Etat, contraint chaque année d’en rembourser une partie, alourdie des intérêts. Selon les prévisions de Bercy, cette « charge de la dette » devrait sensiblement augmenter dans les prochaines années, passant de 46 milliards d’euros – pour un total de 3 230 milliards – en 2024, à 75 milliards en 2027.

« La dette publique (…) affiche un coût de plus en plus élevé qui contraint toutes les autres dépenses, obère la capacité d’investissement du pays et l’expose dangereusement en cas de nouveau choc macroéconomique », a alerté la Cour des comptes en juillet. « Si nous ne faisons rien, [les frais de remboursement de la dette] deviendront le premier poste de dépenses de l’Etat », a mis en garde le ministre de l’économie et des finances, Antoine Armand, en présentant son projet de loi de finances. Comment en est-on arrivé là, et doit-on s’en inquiéter ?

Comment s’est constituée la dette de la France ?

L’Etat s’endette de manière récurrente pour financer les dépenses publiques de fonctionnement et d’investissement. Il emprunte, paie les intérêts (les « coupons »), rembourse à échéance et contracte de nouveaux emprunts.

Historiquement, la France a recouru à diverses modalités d’endettement, en faisant par exemple appel à l’épargne des Français, de façon libre (l’« emprunt Balladur » de 1993) ou contrainte (l’« emprunt forcé » de Pierre Mauroy en 1983), ou en imposant aux banques d’acheter sa dette. Mais aujourd’hui, elle emprunte essentiellement sur les marchés financiers.

C’est l’Agence France trésor (AFT), logée au cœur de Bercy, qui est chargée de gérer ces opérations. L’AFT prévient les investisseurs qu’elle va avoir un besoin de financement. Chaque acteur dit combien il est prêt à mettre et, en fonction des offres, l’AFT attribue des lots aux taux les plus intéressants pour elle.

Que représente la charge de la dette actuellement ?

Chaque année, la France doit payer à ses créanciers des intérêts sur la dette qu’elle a empruntée : ces frais, appelés « charge de la dette » ou « service de la dette », sont considérés comme l’une des dépenses du budget de l’Etat. Avec 54,9 milliards d’euros d’autorisations d’engagement en 2025, selon les projections du gouvernement, cette charge devrait représenter le quatrième poste de dépense publique, largement devant le budget de la sécurité ou de l’écologie, mais derrière l’éducation nationale, la défense ou les remboursements d’impôts aux entreprises et aux particuliers (en vertu de niches fiscales ou de dispositifs incitatifs).

Chiffres du projet de loi de finances (PLF), présentés en « comptabilité budgétaire »

Le budget consacré au remboursement de la dette de l’Etat, qui devrait représenter en 2025 autour de 1,8 % du PIB, a sensiblement augmenté ces dernières années : en 2018, il ne représentait encore que 35,2 milliards. Et cette tendance devrait encore s’accentuer au cours des prochaines années : la charge de la dette pourrait représenter 75 milliards d’euros en 2027, soit 2,4 % du PIB. Sans compter que ce chiffre ne prend pas en compte la charge de la dette des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale, calculée à part.

Qu’est-ce qui explique la hausse de cette charge ?

L’augmentation observée au cours des dernières années s’explique, d’une part, par la flambée de l’inflation, particulièrement marquée lors de la période 2022-2023. En effet, les quelque 10 % des emprunts de l’Etat consentis à taux variable sont liés à l’inflation (française et européenne). Quand les prix à la consommation se sont envolés, ces emprunts ont suivi : en 2022, ces « coûts d’indexation » se sont élevés à 23 milliards d’euros, soit presque la moitié des intérêts versés sur l’année. En 2023, cette somme a toutefois diminué, s’établissant à 8,9 milliards d’euros.

Le renchérissement du coût de la dette française tient aussi à l’augmentation générale des taux d’intérêt au cours des dernières années. En relevant ses taux directeurs à un niveau jamais atteint en 2023 pour combattre l’inflation, la Banque centrale européenne a entraîné à la hausse l’ensemble des taux d’intérêt de la zone euro, pour les Etats comme pour les particuliers et les entreprises. S’ils ont ensuite baissé en 2024, ils restent à un niveau élevé. Résultat : la France emprunte aujourd’hui à 3 % environ (pour ses emprunts à taux fixe sur dix ans), contre autour de 0 % en 2021. Ce taux s’applique à la nouvelle dette qu’elle lève, mais aussi au renouvellement des dettes anciennes.

Enfin, plus prosaïquement, la charge de la dette augmente parce que… la dette augmente. Au cours des dix dernières années, elle a gonflé de 1 000 milliards, soit 112 % du PIB français. Pour combler ses budgets en déficit, d’année en année, l’Etat a dû accroître ses emprunts. Les intérêts à rembourser s’additionnent, et viennent encore creuser la dette, dans une forme de cercle vicieux.

Schéma issu de « Coronavirus : d’où viennent tous ces milliards des plans de relance ? » de Maxime Vaudano et Mathilde Damgé, article publié le 23 avril 2020.

Comme l’expliquait en avril la Cour des comptes, ces phénomènes peuvent se combiner : ainsi « la très forte croissance du volume de la dette de l’Etat depuis 2008 renforce de façon marquée sa sensibilité aux mouvements de taux ».

Existe-t-il un niveau maximal à ne pas dépasser ?

En amont des discussions budgétaires, le ministre de l’économie et des finances, Antoine Armand, s’est inquiété de la situation, sous-entendant que le recours de la France à la dette pourrait un jour ne plus être possible : « Si nous ne pouvons plus nous financer sur les marchés, nous ne pourrons pas continuer de préparer l’avenir avec le nucléaire et les nouvelles technologies, et nous dépendrons des autres. » Mais à partir de quand l’endettement devient-il insoutenable, risquant d’aboutir au défaut de paiement ?

Le Monde

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Il n’existe pas de consensus sur un seuil à partir duquel la France serait dans l’incapacité de se financer sur les marchés financiers. L’accès de l’Etat à la dette dépend surtout de la confiance des marchés dans sa capacité à la rembourser. Celle-ci est influencée par plusieurs facteurs, dont les avis des agences de notation (notamment Fitch, Standard & Poor’s, Moody’s) sur la situation budgétaire des Etats. Dernier en date : l’avertissement adressé le 25 octobre à la France par Moody’s, qui s’inquiète que « la détérioration » des finances publiques ait « dépass[é] [ses] attentes », sans toutefois abaisser sa note dans l’immédiat.

Lire aussi le décryptage : Comment fonctionnent Fitch, Standard & Poor’s, Moody’s et les autres agences de notation mondiales ?

Or, moins les marchés financiers ont confiance, plus les taux d’intérêt consentis aux Etats sont hauts. Ces derniers mois, les incertitudes politiques liées à la dissolution de l’Assemblée nationale et aux controverses budgétaires ont contribué à renchérir les taux auxquels la France emprunte, comparativement à ses voisins. Le 26 septembre, celui des emprunts à cinq ans a symboliquement légèrement dépassé le taux de la Grèce, et avoisine aussi le taux espagnol.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Dette : regain de tension sur les taux d’intérêt français

Malgré ces « signaux », la France ne court pas de risque à court terme. Lorsque les emprunts arrivent à maturité et qu’il faut en souscrire de nouveaux, l’Etat français parvient encore à obtenir des taux intéressants, car lui prêter de l’argent demeure un placement sûr. A chaque émission, l’AFT place donc sa dette sans problème, y compris cet été en l’absence de majorité à l’Assemblée. L’euro, monnaie commune, limite les attaques spéculatives, et permet de bénéficier du soutien de la BCE en cas d’offensive des marchés.

Par ailleurs, la situation de la France n’a rien d’unique : dans les pays occidentaux, la dette publique n’a cessé de croître avec la baisse de la croissance et la libéralisation des marchés financiers, offrant aux Etats des possibilités de financements généreuses. En valeur absolue, la dette du Royaume-Uni a ainsi été multipliée par six en vingt ans. De plus, malgré leur léger décrochage récent, les taux français restent pour l’instant dans la moyenne européenne, notamment à long terme et bien inférieurs aux records des années 1980, par exemple.

Quelle est l’ampleur du risque sur le plan financier ?

Le risque qui est brandi par le gouvernement repose davantage sur le « coût » de cette dette pour les finances publiques : à l’avenir, peut-on dépenser « plus d’argent pour rembourser nos emprunts que pour nos écoles, notre sécurité ou notre tissu économique », s’est interrogé Antoine Armand ? L’important montant des intérêts dus par l’Etat incite les gouvernements à réduire les enveloppes attribuées aux autres postes de dépenses publiques, ou à augmenter les impôts. Celui de Michel Barnier se fixe pour objectif 60 milliards d’euros d’économies pour 2025, montant qui s’approche des 55 milliards qui seront absorbés l’an prochain par le paiement des intérêts de la dette.

La droite s’inscrit aussi dans cette ligne d’« effort » budgétaire, prônant moins d’impôts et plus d’économies, quand la gauche dénonce un plan d’austérité « violent », qui pourrait entraver la croissance et limiter les recettes de l’Etat, accroissant ainsi le déficit : « Je pense que ça va produire une récession économique et que ce n’est vraiment pas la bonne manière de s’attaquer au problème de l’augmentation des déficits publics », avait estimé Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise, en octobre. Pour une partie des rangs à gauche, des solutions alternatives existent, comme l’annulation des dettes publiques – induisant bien d’autres types de risques.

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