vendredi, juin 28

Lors des émeutes urbaines de l’été 2023, le blocage de réseaux sociaux considérés comme des propagateurs de troubles avait été évoqué un instant par le président de la République, Emmanuel Macron. Ce dernier avait cependant reculé pour éviter de prendre à chaud « des mesures trop dures qu’on peut regretter par la suite », selon le ministre délégué chargé alors de la transition numérique, Jean-Noël Barrot.

Cette prudence ne l’a malheureusement pas emporté au début des violences qui ont saisi la Nouvelle-Calédonie à partir du 13 mai. En décidant de bloquer brutalement la plate-forme TikTok, sans la moindre concertation avec elle, les autorités françaises ont pris une décision facilitée par deux circonstances propres à la Nouvelle-Calédonie : l’existence d’un seul opérateur et son statut de pays et de territoire d’outre-mer qui n’est pas intégré mais seulement associé à l’Union européenne.

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Il ne s’agit pas ici de minimiser le défi que constitue l’indispensable retour au calme sur l’archipel, qui doit aller de pair avec le rétablissement d’un dialogue politique en panne, ni de nier toute incidence potentielle de ce réseau sur l’ordre public, mais de mettre en regard la mesure et ses effets. Du fait de son succès planétaire et de sa nationalité chinoise, TikTok concentre les soupçons. Mais, dans le cas néo-calédonien, l’accusation selon laquelle il aurait permis des opérations de déstabilisation orchestrées par des puissances étrangères n’a pas été étayée.

En termes d’image, la décision radicale et inédite des autorités françaises les a exposées, à juste titre, à une sévère critique : celle de copier des pays qui ont aussi peu d’égard pour la liberté d’expression, y compris sur Internet, que pour les droits humains en général, qu’il s’agisse de la Chine, de l’Iran ou de la Turquie, des contre-exemples régulièrement critiqués par le ministère des affaires étrangères. Dans le cas précis de TikTok, la France se retrouve ainsi en compagnie de l’Afghanistan, de l’Inde et de la Somalie.

La déclaration d’état d’urgence ne permettant de bloquer un réseau social qu’en cas de projet d’acte terroriste ou d’apologie du terrorisme, le gouvernement a dû s’appuyer sur la théorie des « circonstances exceptionnelles », qui renvoie à un arrêt du Conseil d’Etat datant de 1918, pour réduire au silence la plate-forme. Cette « superposition des régimes d’exception » a été déplorée par les avocats d’organisations de défense des droits humains, dont la Ligue des droits de l’homme, qui ont échoué devant le Conseil d’Etat, le 23 mai, à obtenir en urgence une suspension de ce blocage, dans l’attente d’une décision sur le fond de la même instance.

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Car la question centrale de la proportionnalité de la mesure du gouvernement reste à trancher. Ce dernier l’a justifiée en insistant sur son caractère provisoire et, plus curieusement, sur le fait qu’elle pouvait être contournée (par le recours à un VPN), et qu’elle ne concernait pas, par ailleurs, d’autres réseaux sociaux, pourtant susceptibles d’attiser également les tensions. Faute d’arguments plus convaincants, on ne peut pour l’instant que constater qu’un précédent a été créé. Et regretter cette entorse à l’équilibre subtil garantissant un Internet « ouvert, libre et sûr », fondement de la déclaration de Christchurch, portée en 2019 par la France et la Nouvelle-Zélande, tout près de la Nouvelle-Calédonie.

Le Monde

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