FRANCE 5 – MERCREDI 8 MAI À 21 H 05 – MAGAZINE LITTÉRAIRE
Branle-bas de combat (avec un trait d’union, s’il vous plaît) à France Télévisions. Depuis l’annonce, lundi 6 mai, de la mort de Bernard Pivot, le groupe audiovisuel a bousculé ses programmes. Le soir même, Anne-Elisabeth Lemoine rendait hommage dans « C à vous » (France 5) au journaliste indissociable de l’émission « Apostrophes », alors qu’Anne-Sophie Lapix invitait l’académicien Erik Orsenna dans son JT de France 2. Mais il était évident que l’hommage phare viendrait d’Augustin Trapenard, qui, depuis plus de deux ans, présente « La Grande Librairie » chaque mercredi en prime time sur France 5. En prime time et souvent en direct, ce qui n’est pas le cas en cette veille de pont à rallonge.
Sobre et élégante, l’émission est parfaitement orchestrée par Augustin Trapenard. Comme il le confiait quelques heures avant l’enregistrement, Bernard Pivot était pour lui « la référence, un modèle d’écoute et de questionnement, de clins d’œil et d’enthousiasme. Quelqu’un qui donnait aux écrivains voix au chapitre, et c’est une grande fierté pour [lui] de perpétuer cet héritage ». Pour le saluer, il aura donc choisi d’articuler son émission autour d’archives d’« Apostrophes » commentées par six invités.
Voilà que résonne justement ce générique mythique (un extrait du Concerto pour piano no 1 en fa dièse mineur de Rachmaninov) qui nous replonge dans les années Pivot. L’éditrice Teresa Cremisi se souvient de sa curiosité ; Erik Orsenna de son côté « pétillant » ; Pierre Assouline de sa « générosité » – il est l’auteur du documentaire Les Vendredis d’« Apostrophes », que l’on peut voir en replay sur la plate-forme France.tv. Pour ce dernier, et alors que défilent les premières images d’archives (Pivot face à Albert Cohen en pyjama ou avec Marguerite Duras en studio), « c’était un intervieweur de l’ancienne génération, de celle qui laisse parler les gens et les silences s’installer ».
Questions « souvent insolentes, jamais grossières »
De génération et d’époque, il en sera aussi question quand Christine Angot – qui fut invitée dans l’émission « Bouillon de culture », de Bernard Pivot, en 1999, année de la parution de L’Inceste – commente l’archive de 1978 où l’on voit Charles Bukowski (1920-1994), ivre et clope au bec, tenter de soulever la jupe de la romancière Catherine Paysan. L’interview dont Bernard Pivot était le plus fier, selon son bras droit Anne-Marie Bourgnon, est celle d’Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) en 1975 – deux ans après la parution de L’Archipel du Goulag.
Pierre Assouline rappelle que, au-delà d’une émission littéraire, « “Apostrophes” a été une émission de débats d’idées ». Et Augustin Trapenard d’ajouter que Bernard Pivot avait le sens de l’écoute et des questions, « souvent insolentes mais jamais grossières ». Qu’il avait aussi un talent certain pour composer son plateau autour de six personnages. « Il attendait d’eux que l’imprévu arrive », comme le formule si joliment l’académicien Dany Laferrière. Bref, pour les invités, à lui tout seul, Bernard Pivot était l’exception culturelle française – en 2001, après l’arrêt de « Bouillon de culture », l’historien Pierre Nora avait d’ailleurs qualifié le départ du journaliste de « deuil national ».
Il faut dire que Bernard Pivot sera parvenu à faire de la dictée, exercice d’écolier, un jeu de société pour tous avec le championnat des Dicos d’or, et aura, sans relâche, défendu et soutenu la littérature et la langue françaises. Dans un paysage audiovisuel aujourd’hui de plus en plus éclaté, polarisé à l’extrême et vieillissant, cet héritage perdure à travers « La Grande Librairie », seule émission au monde à consacrer chaque semaine 90 minutes à la littérature en prime time. Pour tout cela, et comme le dira en conclusion François Busnel, qui, après l’avoir présentée, continue de la produire : « Merci Monsieur Pivot. »
« La Grande Librairie », émission présentée par Augustin Trapenard. Hommage à Bernard Pivot. Diffusée sur France 5 et disponible en replay sur France.tv.
