Installé depuis à peine quatre petites semaines à Matignon, François Bayrou suscite déjà de la perplexité parmi les siens. De son déplacement au conseil municipal de Pau en pleine crise à Mayotte à son tweet après la mort de Jean-Marie Le Pen où il évoquait les « polémiques » suscitées par le cofondateur du FN, le Premier ministre doit avancer après plusieurs épisodes jugés maladroits dans son propre camp.
Le chef du gouvernement va désormais s’atteler à convaincre lors de sa déclaration de politique générale ce mardi 13 janvier – un discours à suivre en direct à partir de 15 heures, suivi des réactions sur BFMTV et BFM2.
« Il joue sa peau », résume un député Modem auprès de BFMTV.com. « Il ne peut pas rester flou. On doit voir qu’il est prêt à diriger la France et qu’il a un plan pour sortir de ce bordel. Il est attendu au tournant. »
Plutôt discret depuis les vacances de Noël, le patron du Modem n’a pour l’instant qu’une seule mission: parvenir à faire adopter le budget de l’État et de la Sécurité sociale, au point mort depuis le renversement de Michel Barnier en décembre dernier.
Charge donc au centriste de dévoiler lors de son discours devant l’Assemblée nationale comment il compte concrètement s’y prendre pour parvenir à nouer des accords avec une large partie de l’hémicycle, condition sine qua non s’il veut durer à Matignon.
Les nombreuses discussions entre les socialistes et Bercy sur une éventuelle suspension de la retraite à 64 ans en échange d’un accord sur le budget ont rassuré une partie de ses troupes. Mais ces échanges semblent s’être soldés par un échec: le député socialiste de l’Eure Philippe Brun a affirmé lundi soir que les ministres ont fermé la porte à toute suspension de la réforme des retraites, disant avoir eu l’impression de « participer à une farce ».
Le projet « n’est ni plus ni moins que le budget de Michel Barnier en moins bien, avec encore moins d’impôts pour les très, très riches » et « un certain nombre de crédits qui vont baisser pour certaines missions essentielles », a-t-il ajouté.
Au Modem, officiellement, on veut croire que le gouvernement Bayrou pourra éviter la censure. « Les Français vont apprendre à le connaître tout comme les députés », veut croire le député Mickaël Cosson. « Voir qu’il n’est pas dans la sincérité, dans le calcul, toujours prêt à trouver des solutions avec tous ceux de bonne volonté. »
« Au mieux surpris, au pire heurtés »
Le ton est cependant moins amène parmi certains de ses collègues. « Il y a des choses qui nous ont au mieux surpris, au pire heurté ces dernières semaines », commente pudiquement la députée Géraldine Bannier. « Personne ne va dire le contraire. »
« Bayrou a fait du Bayrou », pique un ancien député Modem. « Il a toujours cru en son sens politique et ça a souvent marché ces dernières années. Mais à un moment, ça se voit, ça se paie. »
Il faut dire que le centriste a connu une longue traversée du désert entre 2004 et 2017 – jusqu’à son ralliement à Emmanuel Macron, qui lui a permis de se remettre en selle. De quoi alimenter un mode de fonctionnement en solitaire, accompagné d’un tout petit noyau dur de fidèles, pas forcément compatible avec le fonctionnement de Matignon qui implique de s’appuyer largement sur ses équipes.
« On a la réputation d’être un commando », reconnaît le député Laurent Croizier. « Certains s’appelaient eux-mêmes les Bédouins, comme les caravanes qui traversent les oasis. On a un fonctionnement singulier quand on se construit dans l’adversité. »
« Il faut faire attention, on ne peut pas marcher de la même façon à la tête de Matignon et quand on doit convaincre 400 députés », analyse de son côté un collaborateur parlementaire. « On doit faire notre mue à un moment », poursuit un compagnon de route du centriste. « Je ne sais pas à quel point François le sent. Sa nomination à Matignon pour lui, ça lui prouve qu’il a toujours eu raison de faire les choses à sa façon. »
« Se professionnaliser »
Alors qu’Emmanuel Macron hésitait à le nommer, François Bayrou n’avait pas hésité à poser sur la table le départ de ses députés du camp présidentiel. De quoi renverser la vapeur et lui permettre d’arriver à Matignon.
Le Modem est coutumier de la méthode. Ces derniers mois, lors de la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre comme pour l’arrivée de Michel Barnier, les centristes ont toujours menacé de ne pas les soutenir faute d’un nombre suffisant de Modem au gouvernement. Ils sont ensuite finalement toujours rentrés dans le rang.
« On a été assez peu comptables ces dernières années de la politique d’Emmanuel Macron. Ça nous donnait beaucoup de liberté pour faire les choses à notre façon », reconnaît un député Modem qui appelle à se « professionnaliser ».
Pourtant, François Bayrou continue de faire les choses à sa façon, fort différemment de ses prédécesseurs. Pas de conseiller en communication, un discours de politique générale écrit seul, pas de relecture des interviews des ministres par Matignon – quitte à alimenter les couacs.
« On a déjà piloté une grosse boîte quand on arrive à récolter 18,5% des voix à la présidentielle en 2007 », défend de son côté le député Modem Philippe Vigier, ex-ministre d’Elisabeth Borne.
« À la fin, on est tous soudés »
« La grosse boîte » tiendra-t-elle à l’épreuve des débats à l’Assemblée? « C’est sûr quand on voit comme les députés LR n’ont pas beaucoup défendu Michel Barnier, on peut s’inquiéter », reconnaît un ancien sénateur Modem.
Avec seulement 36 députés à l’Assemblée, soit même pas 10% des effectifs du Palais-Bourbon, François Bayrou risque de se sentir bien seul dans l’hémicycle. Plus difficile encore pour lui: le risque de la division de son propre camp. Car les profils très hétérogènes au sein du groupe Modem pourraient avoir la tentation de chacun jouer leur partition.
Dans les rangs figurent aussi bien d’ex-macronistes comme Perrine Goulet, que l’ancien socialiste Olivier Falorni, qui défend la loi sur la fin de la vie – en dépit des réticences de François Bayrou sur le sujet, ou encore Erwan Balanant, un temps en rupture de banc avec son parti après des alliances avec la droite. « On a nos particularités mais à la fin, on est tous soudés », plaide le député Cyril Isaac-Sibille.
Pour cadrer les députés, François Bayrou peut compter sur trois fidèles qui « donneraient leur vie pour lui » comme l’explique un historique du parti: Marc Fesneau, le président du groupe à l’Assemblée, Patrick Mignola aux relations avec le Parlement et Séverine de Compreignac à la tête du pôle parlementaire à l’Élysée.
« On a toujours été les bons Samaritains, à faire le job même quand ce n’était pas facile. Ça va tenir entre Bayrou et nous. Il a toujours su tempérer nos ardeurs et durer dans la difficulté », philosophe un député.
Les propos ont tout d’un défi. Selon un sondage Ifop, le centriste est le premier depuis 1959 à avoir un cote de popularité aussi basse pour un Premier ministre fraîchement nommé.
Article original publié sur BFMTV.com