jeudi, novembre 14

Le secteur de l’aviation est responsable d’environ 2,5% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète.
Mais ce n’est pas son seul impact sur le climat : des effets hors CO2 contribuent à réchauffer l’air, dont les trainées de condensation.
Une étude de l’organisation Transport & Environnement montre qu’il est possible de les réduire.

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Notre planète

Réduire l’impact de l’aviation sur le climat tout en utilisant davantage de carburant ? L’idée parait farfelue, mais c’est bel et bien la conclusion à laquelle arrive Transport & Environnement, une organisation qui travaille à la transition écologique du secteur des transports en Europe.

Cette étude est basée sur l’impact des trainées de condensation sur le réchauffement de l’air. Il s’agit de ces trainées blanches que l’on peut apercevoir dans le ciel après le passage d’un avion et on les appelle les « contrails ». On ne parle pas ici des « chemtrails » , qui ne correspondent… à rien, sauf pour les complotistes persuadés que ces trainées blanches sont composées de produits chimiques à dessein. 

Des trainées qui se forment au contact de l’air froid et humide

Ces trainées de condensation se forment à haute altitude, au niveau des réacteurs quand l’air est froid et humide. « Elles sont liées à la condensation de la vapeur d’eau émise par les moteurs autour de noyaux de condensation présents dans les suies et les gaz de combustion, explique Carbone 4, le cabinet de conseil de Jean-Marc Jancovici. (…) Les trainées persistantes (…) et les cirrus [les nuages qui se forment dans le ciel après ces trainées] accentuent le réchauffement climatique en absorbant une partie du rayonnement provenant de la Terre et en le réémettant vers le sol. » Elles sont trop fines pour fonctionner comme la banquise, avec un effet d’albédo qui contrebalance le réchauffement.

Ces trainées sont prises en compte dans « l’impact des effets hors CO2 » du secteur de l’aviation, et sont évoquées notamment dans les rapports du Giec. Selon une étude de référence, l’impact sur le réchauffement des effets hors CO2 de l’aviation est au moins égal aux émissions de CO2 du secteur. « Et dans ces effets hors CO2, les trainées de condensation représentent les deux tiers du réchauffement, le tiers restant étant composé du dioxyde de soufre, de l’oxyde d’azote et de la vapeur d’eau« , précise Jérôme du Boucher, l’expert aviation chez Transport & Environnement.

Les vols au-dessus de l’Atlantique très concernés

Dès lors, que faire pour les réduire et quel serait l’impact climatique de leur réduction ? C’est tout l’objet de l’étude publiée mercredi matin par T&E. Celle-ci montre que la modification des trajectoires d’une minorité de vols pourrait avoir un impact important. « Au total, 3% des vols génèrent 80% du réchauffement dû à ces trainées« , explique l’expert.

Pourquoi ceux-ci en particulier ? Seules les trainées de condensation se produisant dans des conditions atmosphériques particulières sont problématiques pour le climat : les vols dans les latitudes élevées, notamment, plutôt au nord de l’hémisphère et susceptibles d’être en contact avec des masses d’air humide. C’est par exemple le cas pour tous les vols au-dessus de l’Atlantique.

D’autres critères rentrent en compte : les trainées formées par les vols du soir contribuent davantage au réchauffement, de même, leur impact est plus grand en hiver qu’en été.

Transport & Environnement

Dans son étude, T&E montre que la modification des plans de vol pour éviter ces conditions de cette minorité de vols permettrait donc de diminuer fortement le réchauffement lié aux trainées. Et c’est là qu’intervient l’histoire du carburant : ces modifications de trajectoire supposent en effet une consommation plus importante. Mais selon les données de l’organisation, celle-ci est absorbée par la réduction du réchauffement lié aux traînées.

« Le changement de trajectoire de vol n’interviendrait que sur un nombre restreint de vols et sur une petite partie du trajet, peut-on lire dans l’étude. Le surplus de carburant utilisé par ces avions pour éviter les traînées de condensation ne représenterait donc que 0,5 % du kérosène consommé par l’ensemble de la flotte mondiale sur une année. » Et environ 5% de carburant en plus par vol.

4 euros supplémentaires par billet Paris-New York

Cette nouvelle trajectoire aurait un coût pour le voyageur, évalué par l’organisation à 4 euros pour un passager d’un vol Paris-New York par Transport & Environnement. « Ce prix tient compte du carburant supplémentaire et de toutes les technologies nécessaires pour éviter les trainées de condensation (capteur d’humidité, satellites, etc« , précise Jérôme du Boucher.

Des essais ont déjà été menés par des compagnies aériennes et des starts-ups, notamment en 2023 par American Airlines et Google sur 70 vols. Lors de ces tests, la modification des plans de vol a permis de réduire la formation des trainées de 54%, avec une surconsommation de carburant de seulement 0,3%. 

Pour Transport & Environnement, cette solution peut être déployée à large échelle dans la décennie à venir, d’autant que le coût supplémentaire n’est pas excessif, comparé aux recherches technologiques sur la décarbonation du secteur et aux carburants de synthèse. 

Encore faut-il que cet impact hors CO2 soit pris en compte dans les déclarations des compagnies aériennes. « La bonne nouvelle, est que l’on peut agir sur l’effet climatique de l’aviation, explique ainsi Jérôme du Boucher, mais la mauvaise nouvelle est que l’on agit sur une partie qu’on ne considérait pas et que finalement, l’impact de l’aviation est bien pire. »

Au niveau européen, les compagnies aériennes devront, à partir de 2025, faire le reporting de toutes leurs émissions hors CO2, puis à partir de 2027, le régulateur européen pourrait décider de mettre un prix à ces effets hors CO2. Mais pour l’instant, cette obligation ne concerne que les vols intra-européens.


Marianne ENAULT

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