dimanche, mai 19
Le réalisateur Mehran Tamadon et l’actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi.

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Profondément lié à la modernité du cinéma iranien, Mehran Tamadon, pourtant installé depuis l’adolescence en France, n’aime rien tant que l’expérimentation formelle, l’impureté des genres, le louvoiement des formes et des sens. On entrevoit ainsi par quoi il se distingue du régime auquel il doit son exil. Documentariste de combat, casse-cou sur les bords, il part à la rencontre, en 2007, dans Bassidji, de cette milice de jeunes martyrs appelés sur le champ de bataille irakien. En 2014, il imagine, dans Iranien, de s’enfermer durant deux jours chez lui avec quatre mollahs, histoire d’éprouver les vertus d’un sain dialogue avec l’ennemi.

Son goût de l’altérité et du débat voisine avec une certaine appétence pour l’autodépréciation, pour ne pas parler de dolorisme, par quoi Tamadon rejoindrait, à travers le chiisme, une autre dimension de la spiritualité iranienne. Ce diable d’homme ne craint pas, en effet, de se montrer coi, humilié, défait face à l’adversaire, condition même, selon la dialectique qui est la sienne, de se donner une chance de toucher son interlocuteur, de lui révéler pour ainsi dire sa propre humanité. Ce qui a le don de mettre régulièrement certains de ses spectateurs, qui tiennent que l’on ne discute pas avec ses bourreaux mais qu’on les combat, littéralement hors d’eux. De sorte qu’il est difficile, entre ingénuité démocratique et maïeutique socratique, de savoir à quelle sauce se mange le Tamadon.

Séance d’interrogatoire

Deux nouveaux exemples – Mon pire ennemi (sortie le 8 mai) et Là où Dieu n’est pas (15 mai) – poussent possiblement les choses plus loin encore. Le premier de ces titres voit l’auteur reprendre le fil de sa vie filmée là où il l’avait arrêtée à la fin d’Iranien, voilà déjà dix ans. Il y rappelle que les services de sécurité l’avaient laissé repartir en France mais lui avaient aimablement suggéré de ne plus remettre les pieds dans le pays, faute de pouvoir en repartir. C’est mal connaître son Tamadon, qui expose ici sa nouvelle idée : demander à des compatriotes comme lui exilés en France de jouer les sbires du régime dans une séance d’interrogatoire filmée dont il serait le cobaye, puis se présenter en Iran avec ce film sous le bras pour y convaincre les services de sécurité de s’y reconnaître, première étape d’un secret repentir qu’il appelle de ses vœux.

On voit d’ici le risible de la chose. Tant du point de vue de l’authenticité de la séance de torture que de celui de la probabilité d’une quelconque remise en cause de leur comportement par ceux qui la pratiquent quotidiennement. Ce que fait vertement remarquer à l’auteur sa principale comparse dans le film, la formidable actrice iranienne exilée en France Zar Amir Ebrahimi – vue notamment dans Les Nuits de Mashhad (2022), d’Ali Abbasi, dans lequel elle interprétait une journaliste sur la piste d’un tueur en série.

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