« Je vous conseille, dans un premier temps, d’aller sur ce tchat, ce sont des policiers et des gendarmes formés, volontaires, qui vous répondront. Ils vous aideront dans votre démarche et pourront vous dire à quel commissariat vous rendre », explique posément Cécile (le prénom a été changé à sa demande). Au téléphone, la victime d’inceste est décidée à porter plainte, plusieurs années après les faits commis par son père. Elle note les coordonnées de la plateforme numérique d’accompagnement des victimes que vient de lui fournir l’écoutante de la ligne d’écoute gratuite Viols Femmes Informations (0800-05-95-95).
Cette dernière poursuit : « Quand vous serez entendue, il peut y avoir des questions qui vous paraissent remettre en question votre récit, vous devez y être préparée. Et, à la fin de votre audition, vous serez fatiguée, mais c’est vraiment important de relire le procès-verbal attentivement, pour vous assurer qu’il reflète bien ce que vous avez dit. »
Quelques phrases encore, et l’entretien touche à sa fin. Il aura duré quarante-cinq minutes. Cécile conclut, de sa voix rassurante : « Prenez un temps pour vous récompenser de votre appel, ce n’est pas rien, ce que vous venez de faire. » Elle-même s’accorde un instant après avoir raccroché, respire un bon coup. « Elle m’a touchée, souffle la jeune femme. Elle donnait beaucoup de détails, elle a dit beaucoup de choses. Je vais faire une petite pause », dit-elle en quittant son poste de travail.
Autour d’elle, dans la pièce ornée de grandes fenêtres qui laissent passer la lumière, ce mercredi de novembre, quatre autres salariées de la ligne d’écoute sont assises derrière leur écran. Chacune a devant elle un grand cahier à spirales, pour écrire ce qui est dit à l’autre bout du fil. Certaines sont en ligne, d’autres retranscrivent leurs notes à l’ordinateur ou remplissent la grille type qui permet, en un coup d’œil, d’avoir un tableau de chaque situation : la date de l’appel, les faits, le contexte, les démarches médicales, policières…
« C’est la faute des agresseurs »
Du lundi au samedi, de 10 heures à 19 heures, une quinzaine de professionnelles se relaient dans ces locaux situés dans le 13e arrondissement de Paris. Depuis sa mise en service, le 8 mars 1986, la ligne d’écoute gratuite a reçu 80 000 « premiers appels ». C’est sans compter les rappels, fréquents. Le rituel est invariable. L’écoutante décroche avec un « Viols Femmes Informations bonjour ». Enoncer d’emblée le mot viol, « le plus dur à prononcer », « envoie le message qu’ici il est permis de le dire, et qu’on peut entendre les violences graves », selon Sophie Lascombes, chargée de mission au Collectif féministe contre le viol (CFCV), l’association à l’origine de la ligne d’écoute, qui la gère depuis sa création. D’un bureau à l’autre, les mêmes expressions résonnent : « Vous avez bien fait de nous appeler », « vous êtes au bon endroit », « ce que vous m’avez raconté, c’est un viol, et c’est puni par la loi », « les viols, c’est la faute des agresseurs, ce n’est pas la faute des victimes »…
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