RFI : Dans un premier temps, pouvez-vous nous dire ce que vous savez de la situation actuelle au Yémen ?
Maysaa Shuja Al-Deen : C’est encore confus, mais ce qu’on peut dire, c’est que les forces du CTS, le Conseil de Transition du Sud, soutenues par les Émirats arabes unis, ont pris le contrôle du reste du sud du Yémen [Le nord étant majoritairement sous le contrôle des rebelles Houthis NDLR]. Ils ont notamment pris le contrôle du plus grand gouvernorat du Yémen, Hadramaout, qui représente un tiers du territoire national.
C’est significatif parce que cela signifie qu’ils contrôlent tout ce qui était connu sous le nom de l’État du Yémen du Sud qui a existé avant l’unification du Yémen en 1990. Le CTS est un groupe séparatiste et ils veulent récupérer leur État du Sud.
L’avancée de ces forces soutenues par les Émirats arabes unis marque aussi un recul de l’influence saoudienne dans le pays.
Oui, la présence saoudienne a été réduite de telle manière que Riyad ne contrôle plus aujourd’hui qu’une infime partie de ses 1 500 km de frontière avec le Yémen. Les relations entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis risquent donc de se tendre et cela pourrait modifier les alliances régionales. Même l’Iran [qui soutient les rebelles Houthis du nord du Yémen, NDLR] n’est pas satisfait de ces développements.
Les grands États de la région, comme l’Égypte, la Turquie, ne sont pas à l’aise non plus, car ils sont contre tout mouvement séparatiste dans la région en général. Le pays voisin Oman est aussi très nerveux. Il n’a pas de bonnes relations avec les Émirats arabes unis qu’il a accusés à plusieurs reprises de complot contre sa sécurité intérieure. Aujourd’hui, Oman se trouve entouré par les Émiriens des deux côtés de ses frontières. C’est très alarmant pour eux. Donc, je pense que la situation est très tendue. Nous attendons de savoir ce qui va se passer.
Face à l’hostilité de ses voisins, quel est l’intérêt des Émirats arabes unis de mener une telle action ?
Les Émirats arabes unis ne se soucient pas d’avoir à plaire à leurs alliés dans la région ou de se coordonner avec qui que ce soit. Ils se comportent de manière très audacieuse et agressive. Au Yémen, ils ont donné une gifle aux Saoudiens. Ces derniers sont acculés, car le Yémen est une question de sécurité nationale pour les Saoudiens.
Il y a quelques années, les Iraniens ont été à leurs frontières via les Houthis et les ont mis sous pression. C’est la même chose ici avec les Émirats arabes unis. En général, si vous voulez agacer les Saoudiens, rien n’est mieux que de les avoir sur le Yémen. Parce qu’eux partagent une frontière très longue avec le Yémen. Les Émiriens, eux, n’ont pas de frontière commune avec le Yémen.
Certains analystes estiment que le mouvement émirien au Yémen est lié à l’actualité au Soudan, Riyad et Abou Dhabi soutiennent des fronts opposés. Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman est allé voir le président américain Donald Trump pour se plaindre. Ce dernier est intervenu et a demandé aux Émiriens d’arrêter leur soutien aux troupes du général Hemedti.
Ce qui est certain, c’est que c’est un tournant dans la relation entre les deux pays. Parce que les Saoudiens et les Émiratis toujours eu une compétition d’influence au Yémen, aujourd’hui, elle s’est transformée en conflit, même si ce n’est pas un conflit actif.
Justement, comment est-ce que les forces du CTS ont réussi à prendre le contrôle d’un territoire aussi vaste sans conflit actif ?
C’est très intéressant et il y a beaucoup de rumeurs sur ce qui s’est passé la semaine dernière. La plupart disent qu’il y avait une coordination entre les Saoudiens et les Émiriens pour redistribuer les forces. Mais à un moment donné, les Émiriens sont allés bien au-delà de l’accord. Les Saoudiens pris par surprise n’ont pas su réagir. Les forces émiriennes sont beaucoup plus nombreuses et mieux préparées. Personne ne sait vraiment ce qui s’est passé, mais je pense que les Émiratis sont rapides alors que les Saoudiens sont toujours inefficaces et lents.
Derrière les stratégies émiriennes, y a-t-il une réelle volonté indépendantiste au sein de la population yéménite du sud ?
Avant que la guerre n’éclate au Yémen, il y avait déjà une grande partie de la population du Yémen du Sud qui défendaient leur indépendance. Les Émiriens ont utilisé cela pour mettre en place le Conseil de Transition du Sud. Le problème, c’est que la majeure partie du pouvoir au sein de ce Conseil provient d’une seule région du Sud. Donc, les autres leaders du Sud ne sont pas satisfaits. Il y a donc de nombreuses divisions au sein du Sud, dont les Saoudiens pourraient tirer profit à l’avenir.
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