lundi, novembre 25

Mon expérience du conflit israélo-arabe qui ravage les esprits depuis soixante-quinze ans m’a donné à voir, au-delà de la question strictement politique, le nœud psychotique de cette relation sanglante. C’est de ce point aveugle que je voudrais parler ici. Dans l’histoire des peuples comme dans celle des individus, il vient un moment où la répétition d’un même symptôme en pire réclame, au-delà des faits, une analyse qui puise aux origines du traumatisme. Entre un paranoïaque introverti qui se sent menacé et un paranoïaque qui tue, il y a un monde.

Ce monde a été franchi depuis le 7 octobre 2023. Chaque jour, depuis, est une reprise caricaturale de la veille : un délire auquel les esprits s’habituent comme sous l’effet d’une drogue, comme s’ils n’avaient rien à redire ou rien à dire de mieux. Comme si ce déluge de feu était normal pour la simple raison qu’il existe. Nous étions dans une situation névrotique, nous nous trouvons à présent, au-delà de toute politique, au seuil d’un vertige général : psychotique. Dans la névrose, la réalité éprouve ou épuise son sujet, dans la psychose, le sujet la perd de vue.

Ce lieu que l’on appelle la Terre sainte est devenu le lieu de transfert d’une peur dévorante, une peur ontologique. La peur de disparaître. L’ancienne Palestine, l’actuel Israël, Gaza, la Cisjordanie, et par-dessus tout, Jérusalem, ne sont plus des espaces qui se mesurent en kilomètres carrés ; ce ne sont plus des territoires physiques, ce sont les pays d’un territoire informe où se joue, avec une cruauté innommable, la défense de soi par l’abolition de l’autre. Au prix inévitable de la vérité, à l’avantage inévitable de la mort. Le Liban est en passe d’être absorbé par l’ouragan. Tout se passe du côté de la puissance militaire israélienne, comme si la destruction avait le pouvoir de construire, comme si l’écrasement physique était une réserve d’avenir. Comme si le combat contre la part insoutenable du souvenir passait par sa reproduction, et non par sa réparation.

Le chaudron de l’identité

Avec la guerre en cours, la mort déborde ceux qui la donnent. Elle est censée, de leur point de vue, nettoyer et faire le vide. Elle fait le contraire : sur le territoire des vies et des immeubles incendiés se dressent les démons indomptables de la haine. L’intelligence humaine n’est plus en mesure de répondre, de garder ses réflexes. Elle passe la main à la loi provisoire du plus fort. D’où cet inconcevable silence planétaire face à la folie en cours. Avec pour exception rassurante, à l’heure actuelle : l’émission de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Benyamin Nétanyahou [premier ministre israélien], Yoav Gallant [ex-ministre israélien de la défense] et Mohammed Deif [chef de la branche armée du Hamas, présumé mort]. Qu’il s’agisse de l’islam politique ou du judaïsme politique, le phénomène est celui de la perversion. Il implique que la reconnaissance de soi passe par la négation de l’autre. Dans le cas du premier, les femmes sont prises en otage, la liberté est sacrifiée. Dans le cas du second, le destin de la région et celui des juifs dans le monde sont hypothéqués. Dans l’un comme dans l’autre, la désastreuse absence de solutions politiques a fait sauter les digues de la raison.

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