dimanche, mai 19

Séance plénière au Parlement européen. Les votes s’enchaînent, les mains se lèvent à intervalles rapides, au rythme de l’appel en allemand: « Dafür! », « Dagegen! » (« pour », « contre »).

En surplomb de l’hémicycle bruxellois, des dizaines d’interprètes s’activent dans la pénombre de leurs cabines.

L’Union européenne est le principal employeur mondial de ces professionnels, omniprésents en coulisses des sessions parlementaires, sommets, auditions, conférence de presse… Ils sont 250 employés par le Parlement, en plus de quelque 1.500 en free-lance pour l’ensemble des institutions.

Ces interprètes doivent se plonger dans des dossiers parfois complexes. Il faut aussi se tenir au courant de l’actualité, qu’il s’agisse de politique ou de sport, explique Zivile Stasiuniene.

« Les gens parlent souvent de football », sourit cette femme de 55 ans, qui interprète principalement vers sa langue maternelle, le lituanien, à partir de l’anglais, du français, de l’espagnol et du russe.

Pour elle, son travail consiste à jeter des ponts entre les cultures, transmettre du contexte et de l’émotion en même temps que le message.

Un moment mémorable ? La première visite du président ukrainien Volodomyr Zelensky au Parlement européen après le lancement de l’invasion russe, en 2022. « Le collègue qui a dû interpréter le président Zelensky a commencé à parler des horreurs de la guerre, il pleurait, on entendait des larmes dans sa voix », se souvient-elle.

– 24 langues de travail –

Agnès Butin, qui interprète vers le français à partir de l’allemand, de l’anglais et du croate, a elle été particulièrement émue par la dernière session à laquelle étaient présents les eurodéputés britanniques, fin janvier 2020, avant que le Brexit ne soit effectif.

« Ils se sont mis à chanter +Ce n’est qu’un au revoir+, des écharpes de foot ont été distribuées. C’était un moment très émouvant parce qu’on sentait que c’était réel. Ces gens avaient une véritable peine, c’était un moment de grande fraternité », se rappelle-t-elle.

« Tout le monde était vraiment uni, quelle que soit la nationalité, avec ces pauvres députés britanniques qui ont dû partir ».

Malgré le retrait du Royaume-Uni, l’anglais reste un trait d’union pour les 27 pays de l’UE. Mais cette omniprésence n’empêche pas le besoin d’interprétation, bien au contraire, affirme Agnès Butin.

« Quand quelqu’un parle anglais et n’est pas anglophone, il y a des tas d’erreurs. Les personnes n’ont pas forcément le vocabulaire idoine. Nous, on a l’habitude, on suit les réunions, on connaît le contexte général et on peut rectifier », explique-t-elle.

L’eurodéputé français David Cormand (Verts) a pris des cours après son élection pour améliorer son anglais, mais juge le rôle des interprètes indispensable.

« Pour aller dans le détail des textes de lois, il est vraiment essentiel de pouvoir se comprendre, d’avoir la possibilité de s’exprimer dans sa langue maternelle », estime l’élu. « De la même manière, pour élaborer nos stratégies de groupe politique, il faut pouvoir échanger dans la langue dans laquelle on est le plus à l’aise », explique-t-il.

Au-delà, « la question de l’interprétariat est un enjeu démocratique central. Il consiste à permettre que l’ensemble des citoyennes et citoyens européens aient un accès égal au débat », souligne David Cormand.

Avec 24 langues de travail, et plus de 500 combinaisons possibles, les interprètes de l’UE utilisent un système de relais, consistant à passer par une langue intermédiaire.

Ainsi, dans le cas d’un discours en suédois ou en hongrois, les interprètes ne maîtrisant pas ces langues utiliseront une première interprétation de ce discours dans une langue qu’ils connaissent –par exemple l’anglais, le français ou l’allemand–, avant de la retraduire dans leur langue cible.

– Concurrence de l’IA ? –

Ces professionnels, amenés à jongler entre quatre ou cinq langues, sur un large éventail de sujets complexes, doivent être capables d’une concentration sans faille et d’une endurance d’athlète.

« C’est assez fatiguant et exigeant », reconnaît Agnès Butin. « Il faut être bien préparé. Il faut avoir une résistance naturelle au stress aussi, sinon le stress l’emporte et on n’est pas capable de travailler correctement ».

Cumulés, les services de traduction et d’interprétation coûtent à l’UE environ un milliard d’euros par an, un peu moins d’1% du budget communautaire.

Alors que l’intelligence artificielle supplante déjà le travail des traducteurs partout, son spectre plane inévitablement sur la profession d’interprète. Mais pas de quoi inquiéter Agnès Butin et Zivile Stasiuniene outre mesure.

« Pour l’instant, l’intelligence artificielle ne capte pas tout. Par exemple, l’humour », souligne Zivile Stasiuniene. « Pour rendre le discours plus vivant, il faut la touche humaine. Il n’y a pas de secret ».

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