vendredi, mai 17
Une affiche représentant le capitaine Ibrahim Traoré, lors d’une manifestation contre la présence française, le 20 janvier 2023.

A Ouagadougou, les expulsions de diplomates et de coopérants français ne surprennent pas plus que les arrestations de toute voix dissidente. Mardi 16 avril, trois diplomates français ont été accusés d’« activités subversives » et déclarés « persona non grata » par le ministère burkinabé des affaires étrangères, dans une lettre adressée à l’ambassade de France à Ouagadougou consultée par Le Monde.

Les deux conseillers politiques ainsi que la rédactrice, en poste au Quai d’Orsay à Paris mais qui séjournait quelques jours au Burkina Faso dans le cadre de ses fonctions, selon plusieurs sources basées à Ouagadougou, ont ainsi été priés de quitter le pays au plus tard jeudi 18 avril au soir. La nouvelle passe d’armes du régime envers Paris est une étape supplémentaire dans le détricotage des relations diplomatiques et militaires franco-burkinabées amorcé par le capitaine Ibrahim Traoré depuis son arrivée au pouvoir par un putsch, en septembre 2022.

Lire aussi | Au Burkina Faso, les voix discordantes envoyées au front ou en prison

Le gouvernement n’a pas précisé dans sa lettre la nature des « activités subversives » reprochées aux trois diplomates français, et n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Selon nos informations, lors de son séjour sur place, la rédactrice du ministère des affaires étrangères a rencontré plusieurs organisations de la société civile et des ONG, en compagnie de ses collègues de l’ambassade, « sur les dérives autoritaires de la junte et les massacres de civils opérés par l’armée », précise une source sécuritaire burkinabée. « Le régime n’a pas digéré cet activisme car il fait tout pour se maintenir au pouvoir et se méfie des activités qui pourraient être soutenues par les chancelleries occidentales, dans le but d’organiser la résistance civile », analyse-t-elle.

Lors d’une interview accordée à France 24 et Radio France internationale (RFI) le 8 avril, le ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné avait souligné l’importance pour la France de conserver « des liens avec les organisations humanitaires et la société civile » mais « pas avec les autorités », au Burkina Faso comme au Mali et au Niger, trois pays dont la France a été évincée par les putschistes après leur arrivée au pouvoir.

« Accusations infondées »

A la suite de l’expulsion de ses quatre diplomates du Burkina Faso, le Quai d’Orsay a rejeté « les accusations infondées portées par les autorités burkinabées » et déploré cette décision qui « ne repose sur aucun fondement légitime ». Début décembre 2023, Paris avait déjà contesté des allégations, d’espionnage cette fois, formulées par les autorités burkinabées à l’encontre de quatre fonctionnaires français. Présentés alors par une source officielle française, citée par l’Agence France-Presse, comme des « techniciens » venus à Ouagadougou pour réaliser une « opération de maintenance informatique au profit de l’ambassade de France », les quatre Français sont en réalité des agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), selon plusieurs sources burkinabées et diplomatiques occidentales.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Des agents du renseignement extérieur français retenus au Burkina Faso

Incarcérés dans un premier temps à la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou après avoir été mis en examen sans que les motifs de leur inculpation n’aient été divulgués, ils ont ensuite été placés en résidence surveillée dans la capitale et n’ont pour l’heure pas été libérés.

Leur arrestation avait contraint Paris à rapatrier la douzaine d’agents de la DGSE en poste au Burkina Faso. Une opération que plusieurs sources diplomatiques et sécuritaires locales attribuent aux services de renseignement russes, dont certains éléments étaient arrivés à Ouagadougou deux semaines plus tôt, dans le cadre du renforcement de la coopération sécuritaire entre Moscou et Ouagadougou.

Selon nos informations, l’arrestation des quatre agents avait été utilisée par la junte pour pousser Paris à renvoyer des personnalités burkinabées décrites comme subversives. Un chantage auquel la France avait opposé une fin de non-recevoir.

Divorce

Mi-septembre, l’attaché militaire de l’ambassade de France avait lui aussi été accusé d’« activités subversives » par les autorités et prié de quitter le territoire en quinze jours. Avant lui, deux Français travaillant pour une entreprise burkinabée avaient quant à eux été accusés d’espionnage et expulsés du pays, en décembre 2022.

Voir aussi | Au Burkina Faso, la première base militaire russe d’Africa Corps

Dans le même temps, la junte avait demandé le remplacement de l’ambassadeur de France, Luc Hallade, dans une lettre adressée fin décembre au Quai d’Orsay, sans en donner les raisons. Symbole supplémentaire du divorce avec Paris réclamé par le capitaine Traoré, il avait ensuite dénoncé fin janvier 2023 l’accord de défense signé en 2018 avec la France pour encadrer la présence des quelque 400 soldats des forces spéciales françaises de l’opération « Sabre », déployées en périphérie de Ouagadougou.

Suivez-nous sur WhatsApp

Restez informés

Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique »

Rejoindre

Tous avaient plié bagage le 18 février. Leur départ fut suivi, quelques semaines plus tard, par celui des militaires français déployés au sein des administrations burkinabées dans le cadre d’un accord d’assistance militaire signé avec Paris en 1961 et que le régime avait également dénoncé, fin février.

Partager
Exit mobile version