samedi, mai 18
« Comme le jour se fait lorsque la nuit s’en va », de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, à la galerie In Situ, à Romainville (Seine-Saint-Denis).

Depuis plus de vingt ans, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, nés en 1969 à Beyrouth, inscrivent le passé et le présent de leur pays dans une pluralité de formes artistiques. Cinéastes, ils sont les auteurs de fictions et de documentaires, dont The Lebanese Rocket Society. L’étrange histoire de l’aventure spatiale libanaise (2012), délice d’absurdité véridique. Plasticiens, ils emploient l’image fixe et mobile, le son et la tapisserie, sans jamais céder à un excès de démonstrativité ou de pathos, mais en suggérant, en questionnant.

Ainsi, dès l’entrée de leur exposition à la galerie In Situ, à Romainville (Seine-Saint-Denis), se trouve-t-on face à une suite de photographies : des visages − les leurs, principalement – cadrés sur les yeux et l’expression de ceux-ci, qu’il n’est pas aisé de déchiffrer. Simultanément se font entendre des soupirs, aux significations aussi incertaines. Regret, peine, peur, deuil, doute, émoi, désir ? L’interprétation est ouverte, mais la plus simple est qu’il y a là des vivants qui ne cessent de réagir à ce qu’il se passe autour d’eux.

Destin des œuvres et des cultures

Or, ce qu’il se passe autour d’eux est tragique. Mais, au lieu d’en rester à la déploration, Hadjithomas et Joreige se saisissent des traces de ce tragique et en font la matière de leurs œuvres. Le 4 août 2020, leur atelier a été soufflé par l’explosion du port de Beyrouth. Ils en ont ramassé les vitres, désormais parcourues de milliers de fissures, et en font les écrans sur lesquels s’inscrivent, sur fond de couleurs d’arc-en-ciel, des phrases venues de philosophes et de poètes, telles que celle-ci : « Sois un verre qui vibre et qui dans son chant s’est brisé » (Rainer Maria Rilke). Les mots l’emportent sur la destruction.

Les images aussi : Sarcophage aux amours ivres est le film réalisé dans les collections du Musée de Beyrouth, dont les coupures d’électricité fréquentes rendent la visite impossible. Ils y circulent en éclairant les sculptures avec leurs téléphones ou des torches. Sortent brièvement de la nuit des gisants phéniciens, des masques sumériens ou des marbres de tombeaux hellénistiques. Les rais de lumière glissent sur les corps et les visages de pierre, s’y arrêtent un instant, s’en détournent, se reflètent sur une vitrine ou un miroir, s’éteignent, recommencent. Il y a là le témoignage de l’effondrement du pays, sous nos yeux. Mais aussi une réflexion sur le destin des œuvres et des cultures ; et une autre encore sur le fonctionnement imprévisible de la mémoire, entre surgissements et effacements.

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