lundi, juillet 1

Lorsque Moussa s’avance les mains menottées dans le dos, l’officier sait que la conversation sera difficile. Le détenu sort tout juste du quartier disciplinaire de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) et pourrait y retourner très vite.

Surpris en cellule avec un téléphone portable, Moussa (prénom modifié) vient de passer vingt jours à l’isolement complet dans le « mitard » de la plus grande prison d’Europe.

Sept mètres carrés à peine éclairés par la lumière du jour. Un matelas rêche en guise de lit. Pour la toilette, un robinet au-dessus d’un cabinet sans cuvette et une douche dans le couloir tous les trois jours.

Pas de télévision, pas d’activité. Et pour prendre l’air, l’unique heure de promenade autorisée est restreinte à un espace bétonné de 15 mètres carrés, au plafond grillagé. On n’y voit pas le ciel mais on y sent la pluie: le sol est mouillé.

Entre ces murs, Moussa, 20 ans, s’est « effondré », a écrit une psychologue. A l’AFP, il confie avoir « pensé au suicide ».

A peine relâché, le jeune homme doit repasser en commission disciplinaire pour un autre incident: des surveillants l’ont trouvé en possession de cannabis.

« Il faut que je le persuade de rester calme lors de la commission, sinon ils vont le remettre au QD (quartier disciplinaire) », prévient l’officier Manon Blosse avant d’ouvrir la porte de la salle d’entretien.

– « Du charabia » –

A peine installé, le jeune homme, escorté de trois agents, s’emporte: « Comment voulez-vous que je ne pense pas qu’on s’acharne sur moi ? »

Oui, il fume du cannabis, « comme tout le monde en prison, pour passer le temps ». Oui, il avait un téléphone portable, « pour s’informer d’une décision dans ma procédure, pas pour trafiquer ».

Il tremble du haut de son mètre quatre-vingt-dix.

Son passage au « mitard » a ébranlé le peu de confiance qu’il pouvait encore avoir en l’établissement. Il remet tout en cause, y compris son placement à l’Unité pour détenus violents (UDV) de Fleury-Mérogis.

Pendant six mois, lui et une poignée d’autres prisonniers considérés comme particulièrement agressifs y sont isolés et suivis au plus près. Objectif: faire baisser leur niveau de violence avant de les réintégrer parmi les autres détenus.

Moussa y a été affecté après avoir agressé un autre prisonnier.

« A Fleury, il y a des détenus cinq fois plus violents que moi, mais c’est moi qui ai été choisi pour l’UDV parce que les autres sont tellement violents que vous ne pouvez pas travailler avec eux », assène-t-il.

« Je n’ai pas affaire à des détenus violents, mais à des personnes qui ont le potentiel de commettre des actes violents », lui rétorque l’officier Blosse. « Mon but n’est pas de vous changer, tout le monde doit rester lui-même, mais on peut se parfaire… »

– C’est du charabia ça, Madame ! Faut pas entrer dans ma tête comme ça !

– Je vois quelque chose qui a progressé depuis votre arrivée à l’UDV. Je peux vous le dire ou pas ?

– Je vous écoute.

– Votre ton est beaucoup moins agressif. Vous ne hurlez plus.

– C’est pas que je suis devenu plus doux. Je suis juste fatigué, j’ai plus d’énergie, on mange rien ici.

– « Comme des animaux » –

Moussa et ceux de l’UDV ne sont pas autorisés à posséder une bouilloire ou des plaques de cuisson en cellule, par sécurité. Les détenus du quartier d’évaluation de la radicalisation si.

« Même les terroristes peuvent cuisiner ! On nous traite comme des animaux », s’indigne Moussa.

Interrogé par l’AFP, l’Observatoire international des prisons (OIP) a déploré cette restriction imposée « sans distinction » aux écroués de l’UDV, ainsi que leur « mise à l’écart » qui les « stigmatise ».

« Ils posent le mot de +violent+ sur moi, mais c’est juste pour justifier de mettre un détenu dans ces conditions », accuse Moussa.

L’encadrement de Fleury-Mérogis considère à l’inverse que l’UDV « choie » ses détenus.

« Sur un étage classique, j’avais 200 détenus », rappelle l’officier Blosse. « Quand l’un d’eux m’écrivait pour un entretien, je ne répondais pas à moins d’un risque suicidaire. A l’UDV, je les reçois le lendemain ».

Yoga, séances de gestion des émotions, ateliers radio… « L’attention, la richesse des activités sont un luxe. En détention normale, les listes d’attente sont longues », souligne Jessica, conseillère du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).

Mais l’OIP affirme que sur les dix UDV existantes en France, certaines ne prodiguent « pas grand-chose en terme d’activités et se concentrent seulement sur l’aspect sécuritaire ».

Le jour de la commission disciplinaire, l’énervement de Moussa fait place au dépit.

Il garde les yeux rivés au sol quand il évoque son projet de devenir livreur. « C’est de la livraison de stupéfiants ? », le pique la directrice de l’UDV, Marine Denarnaud. Moussa soupire: « Non, c’est légal ».

– Et votre consommation ?

– Si je dois arrêter, il faut quelque chose pour m’occuper. Je pourrais peut-être faire deux heures de promenade plutôt qu’une ? Je pète un câble en cellule, je ne pense qu’à fumer. J’ai déjà essayé de réduire de 30 à 20 joints par jour…

– « Merci pour vos mots » –

Comme la loi l’impose, une assesseure et citoyenne lambda assiste à la commission, pour garantir la transparence de ses décisions.

« Quand vous sortirez, votre travail de livreur ne va pas durer longtemps si vous fumez », fait-elle remarquer à Moussa. « La prison, ce n’est pas la vraie vie. Décidez de ce que vous voulez faire de votre vie ».

Ses paroles renversent Moussa. Il pose ses grands yeux en amande sur l’assesseure, coi. Puis bafouille. « Désolé. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me parle de cette manière. Je pensais être renvoyé direct au QD ».

« Vous me dites qu’il faut voir positif, mais je vois pas comment aller bien, rien ne m’est arrivé de bien depuis longtemps », ajoute-t-il. « Merci pour vos mots. »

La commission le sanctionne de cinq jours de travail d’intérêt général: nettoyer les cours de promenade de l’UDV. Moussa exulte, il a évité le mitard. « Je vais la faire avec plaisir votre sanction ! »

Trois mois plus tard, Moussa n’a pas causé de nouvel incident à l’UDV.

Il avoue « kiffer » ses occupations: radio, débats sur le thème de la violence… Même s’il assure qu’aucune ne l’a aidé. « Tout le travail que j’ai fait sur la violence, je le dois à moi-même ».

Celui qui estimait ne « pas être violent » quand l’AFP l’a rencontré reconnaît désormais « pouvoir » l’être, « comme tout être humain ». Et il exprime des regrets. « Quand j’ai volé avec des manières fortes, j’aurais préféré, si j’avais pu, éviter ces manières-là ».

clw/pa/as

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