vendredi, mai 17
« Yellow Curve » (1990), d’Ellsworth Kelly.

Monter ou descendre ? C’est la question qui se pose à l’entrée de la Fondation Louis Vuitton, à Paris. Monter, c’est aller vers l’exposition consacrée à L’Atelier rouge (1911), d’Henri Matisse (1869-1954). Descendre, c’est commencer par la rétrospective Ellsworth Kelly (1923-2015). Qu’elles aient lieu ensemble se comprend aisément. Les deux peintres ont eu en commun l’expérience des couleurs portées à leur plus haut point d’intensité et Kelly a regardé Matisse sa vie durant. Aussi est-il sans doute préférable d’obéir à la chronologie, Matisse faisant ainsi office d’introducteur à Kelly.

Ce Matisse plus précisément : celui de L’Atelier rouge, une de ses toiles où la question de la couleur se pose avec une acuité et une difficulté particulières en raison de sa genèse. En octobre 1911, à la demande de son collectionneur moscovite Sergueï Chtchoukine (1854-1936), Matisse entreprend une peinture de grande taille, 1,81 mètre de haut, 2,19 mètres de long, qui doit être accrochée dans l’hôtel particulier du mécène. Elle représente l’intérieur de l’atelier du peintre à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) : un espace vaste et haut qu’il a fait construire en 1909 près de la maison familiale.

Le motif a plusieurs avantages : l’artiste n’a qu’à regarder autour de lui, il peut disposer à loisir des œuvres plus anciennes et la toile s’inscrira naturellement à la suite des Matisse que Chtchoukine possède déjà. Sont ainsi disposées de nombreuses peintures aux murs ou au sol, des sculptures sur des sellettes, une céramique, des meubles et des fleurs. Jusque-là rien de très singulier, d’autant que Matisse a déjà auparavant maintes fois cité ses propres œuvres dans des toiles ultérieures.

Recouvrement de rouge sanguin

Dans cette anthologie de lui-même, il place l’une de ses principales compositions allégoriques, Le Luxe II, de 1907-1908, deux toiles qui renvoient à ses débuts et au fauvisme, un nu à la charge sexuelle forte, des fleurs et des nus de bronze ou de terre : autobiographie et autocélébration vont de pair. Mais l’exécution prend un tour inattendu. Après avoir interrompu son travail un certain temps – un mois au moins, plus peut-être –, Matisse recouvre une grande partie de la surface de rouge dit « de Venise », dense et mat.

Seuls ses toiles et bronzes échappent au recouvrement, qui paraît avoir été réalisé en peu de temps, à gestes amples et rapides. Plancher et murs disparaissent sous ce flux. Il y avait là auparavant des bleus, des roses et des ocres, a révélé le travail des restaurateurs, présenté dans une vidéo qui aurait pu être plus longue tant elle est instructive. La métamorphose est radicale, à tel point que Chtchoukine refuse L’Atelier rouge dans cet état-là. Le premier acheteur, un Londonien, ne l’acquiert qu’en 1927 pour décorer le Gargoyle Club, lieu de plaisirs chics. Il y reste une décennie, est revendu et passe à New York, où le MoMA l’achète en 1949.

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