vendredi, mai 17
« Drama 1882 » (2024), de Wael Shawky.

La longue file d’attente devant le pavillon égyptien, aux Giardini, est le signe que le bouche-à-oreille lui est favorable. Les entrées au compte-gouttes s’expliquent aussi par le fait que Wael Shawky y présente un film de quarante-cinq minutes, en arabe classique, avec une jauge définie par un souci de lisibilité des sous-titres, au niveau du sol. Cela vaut la peine d’être patient. L’artiste égyptien (né en 1971) y revisite à nouveau l’histoire à sa manière, à la fois épique, grave, et pleine de fantaisie.

Dans sa trilogie Cabaret Crusades (2010-2015), il remettait en scène des conflits médiévaux entre musulmans et chrétiens, et faisait coexister, en 2023, dans les ruines des temples de Pompéi, les déités gréco-romaines avec celles de l’Egypte ancienne. Avec Drama 1882, il se penche cette fois sur un épisode-clé de l’histoire de son pays : la révolution nationaliste d’Urabi. En septembre 1881, le colonel Ahmed Urabi organisait un soulèvement contre le khédive (vice-roi) Tawfik Pacha, qu’il considérait comme un traître pour ses concessions, notamment face à la domination financière européenne de l’Egypte. Une révolte qui s’est achevée par la prise de contrôle du pays par les Britanniques en 1882.

Sens de la catastrophe et théâtralité

Wael Shawky en fait une comédie musicale entre faits et fiction, dans des décors et avec des costumes stylisés, aux couleurs de fable. Les personnages, hiératiques, évoluent au ralenti, se balançant d’avant en arrière dans des tableaux mouvants et rythmés par la musique et le chant des performeurs. Le récit, très prenant et hypnotique, met en lumière stratégies, alliances et visions subjectives, et fait poindre la guerre comme une logique aussi implacable qu’absurde.

Entre sens de la catastrophe et théâtralité, Drama 1882 rejoint à sa manière le thème du pavillon central de la Biennale, « Foreigners Everywhere » (étrangers partout) : « Qu’est-ce que ça signifie d’être des étrangers ? Qui étaient les étrangers ? C’étaient les occupants, pas ceux que l’on appelle les immigrés aujourd’hui », réagit l’artiste. « Nous sommes dans un moment d’urgence politique et de changement révolutionnaire, à l’échelle mondiale. Il me semblait primordial de représenter mon pays avec un message fort, à la mesure de ce moment », dit-il encore. A travers son prisme, toujours alternatif et poétique.

« Drama 1882 ». Pavillon de l’Egypte, Biennale de Venise. Jusqu’au 24 novembre.

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