vendredi, octobre 4

« Nous n’avons rien, ni eau courante ni électricité ». Chedliya Mzrighi, paysanne d’une zone très pauvre de Tunisie, n’attend pas grand-chose de l’Etat alors que le pays, qui se prépare à une présidentielle dimanche, n’a cessé de dégringoler économiquement cette dernière décennie.

Avec six autres femmes munies d’une simple bêche, elle débarrasse un champ des mauvaises herbes près de Fernana (nord-ouest), sous un soleil brûlant, avant d’emmener l’AFP voir sa rudimentaire maison de briques bâtie par son époux maçon, parti à Sousse, à 300 kilomètres au sud-est.

« Nous sommes très pauvres, en dessous de zéro, mon mari ne travaille pas toujours à cause de problèmes au dos, j’ai l’impression que nous ne sommes pas des Tunisiens, sinon on s’occuperait de nos problèmes », lance cette mère de trois enfants de 15 à 21 ans.

Mme Mzrighi, 47 ans, est payée dix dinars (environ trois euros) la journée pour un travail saisonnier, dont elle tire au maximum la moitié du salaire minimum mensuel de 460 dinars (135 euros).

Sans électricité, comment ses enfants peuvent-ils faire leurs devoirs? Sans argent, comment procurer un ordinateur à sa fille de 21 ans « pour qu’elle continue ses études de droit » dans la ville voisine de Jendouba?

Disant survivre grâce à l’aide de voisins, chez qui elle branche occasionnellement un câble électrique, elle a vu le président Kais Saied, en lice pour un deuxième mandat, rendre visite à des « femmes rurales » mais « on n’a reçu aucune aide » malgré les sollicitations auprès des autorités locales.

Sihem Ghouibi, 55 ans, veuve et mère de cinq enfants qui n’ont pas été au-delà du lycée et sont tous partis de Fernana, se sent également abandonnée: « Où est l’Etat? Personne ne vient nous aider ».

– Pas de croissance –

La province de Fernana, dont la moitié des 52.000 habitants vivent dans les campagnes, est l’une des plus déshéritées de Tunisie avec un taux de pauvreté d’environ 37% en 2020, selon un rapport de la Banque mondiale, qui soulignait alors « une faiblesse des infrastructures de base, des taux de chômage et d’analphabétisme élevés et un problème de décrochage scolaire ».

Malgré une situation qu’elles jugent « de plus en plus difficile », ces paysannes iront voter dimanche, par « devoir de Tunisiennes » et avec l’espoir que leur situation s’améliore.

Pourtant le contexte n’est pas porteur.

Ces cinq dernières années, « la plupart des indicateurs se sont détériorés et on n’a pas une croissance qui aurait permis une réduction de la pauvreté, des inégalités et du chômage », souligne à l’AFP l’économiste Aram Belhadj, chercheur-enseignant à l’université de Nabeul.

Même si l’Etat continue d’assurer des services éducatifs et santé gratuits, le grand problème, selon l’expert, c’est « le pouvoir d’achat en baisse notable », conséquence d’une inflation très forte (environ 7% actuellement) notamment pour les prix alimentaires pénalisant les plus pauvres.

Pour M. Belhadj, pour stimuler une croissance trop molle (autour d’1%), « il faudrait des politiques publiques avec une vision claire mais actuellement on ne sait pas où va notre économie ».

Autres freins, selon lui: des remaniements ministériels incessants, « des problèmes de bureaucratie et corruption » et un endettement ayant explosé à 80% du PIB (contre 67% en 2019), limitant les capacités d’investissements publics.

Les territoires reculés comme Fernana sont ceux qui en souffrent le plus.

– Rôle de la société civile –

Dans la Maison de la culture locale, le directeur Boujemaa Maaroufi souligne le manque d’argent, une salle informatique « aux outils anciens », des activités « organisées avec les moyens du bord ». A ses côtés, Riadh Bousslimi, médiateur culturel, a demandé un financement européen pour créer une radio web et « attirer davantage de jeunes ».

En Tunisie, les aides étrangères, surtout européennes et américaines, sont cruciales pour le tissu associatif.

Ahlem Ghazouani dirige la Jeune chambre internationale de Fernana, créée en 2021 et qui propose des ateliers gratuits (leadership, travail en équipe) pour « renforcer les capacités des jeunes ».

« C’est vrai qu’il y a une grande pauvreté à Fernana, des familles incapables de faire étudier leurs enfants, un manque d’emplois pour les jeunes diplômés », énumère Ahlem, mais il y a aussi « des ONG, des clubs dans les facs, des maisons de jeunesse et culture qui essayent de changer cette réalité ».

Waad Khemiri, 24 ans, diplômée en biologie environnementale, donne ce jour-là une formation à entrepreneuriat.

« Le rôle de la société civile, c’est de lutter contre les problèmes. A Fernana, nous possédons des ressources forestières riches, notamment des chênes-lièges, et une jeunesse au potentiel énorme », dit-elle.

fka/cgo/anr

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