Depuis quelques mois seulement, Michael Brown Sr se sent de nouveau capable de rire. Pas aux éclats, bien sûr, plutôt en quelques gloussements qui agitent parfois la longue barbe de ce père de famille de 47 ans. C’est le signe, selon lui, que le « chaos émotionnel » se calme enfin, un peu plus de dix ans après la mort de son fils, Michael Brown Jr. L’après-midi du 9 août 2014, ce jeune garçon noir de 18 ans, suspecté d’un banal vol à l’étalage, était abattu par Darren Wilson, un policier blanc de Ferguson, commune défavorisée de la banlieue nord de Saint-Louis (Missouri), au centre des Etats-Unis. Son corps sans vie était resté sur l’asphalte brûlant pendant quatre heures et demie, dont deux heures sans être couvert, exposé au soleil et à la vue des passants.
Le soir même, dans cette petite ville américaine anonyme, des milliers de personnes allaient se mobiliser contre les violences policières dans ce qui serait décrit par les médias américains, selon leur orientation politique, comme des « émeutes » ou un « soulèvement » inédits. Pendant plus de quatre cents jours, des centaines de policiers surarmés, soutenus par des hélicoptères, ont fait face à des cocktails molotov, à des pillages de magasins comme à des marches silencieuses et pacifiques. Depuis, chaque mois d’août, des hommages à travers l’Amérique reprennent les chants de ces nuits de contestation, « We’re young, we’re strong, we march all night long » (« nous sommes jeunes, nous sommes forts, nous marchons toute la nuit »), ou « hands up, don’t shoot » (« mains en l’air, ne tirez pas »).
Pendant l’été 2024, grâce à la fondation Chosen for Change (« choisi pour le changement »), gérée par Michael Brown Sr et Cal Brown, son épouse, belle-mère de « Mike Jr », quatorze jours de commémorations ont été organisés : un gala de charité, des conférences sur la « terreur policière », une marche en hommage au jeune homme… Ces deux semaines d’effervescence contrastent avec la morosité habituelle de la commune de vingt mille habitants, construite au XIXe siècle autour de la voie de chemin de fer filant vers l’ouest.
Deux larges avenues bordées de bâtiments abandonnés transpercent son centre-ville, où les piétons sont rares, de jour comme de nuit. Ce 9 octobre, dans la petite rue longée de logements sociaux où leur enfant a été tué, le couple inspecte l’état du nouveau mémorial improvisé ces derniers mois, où trois plots orange surmontés de fleurs encadrent les slogans « Black Lives Matter » (« les vies noires comptent ») et « All roads lead to Ferguson » (« toutes les routes mènent à Ferguson »), peints sur le sol.
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