dimanche, juin 30

La rumeur s’est propagée à mi-voix, derrière les volets clos. « Sandokan » va parler. A Casal di Principe, ville de 20 000 habitants de la Campanie rurale, on ne sait pas s’il faut remercier le ciel de cette nouvelle inattendue ou prier pour éviter qu’elle n’annonce le retour des grands malheurs. Depuis sa cellule, où il est enfermé depuis vingt-quatre ans et cinq mois à l’isolement le plus strict, Francesco Schiavone, dit « Sandokan » (surnom dû au pirate barbu héros d’une série télévisée populaire des années 1970), a décidé, fin mars, de devenir un repenti. A 70 ans, le parrain du clan ayant mis la ville sous sa coupe serait prêt à livrer les derniers secrets de ses crimes en échange d’une vie nouvelle sous la protection des forces de l’ordre – ses ennemis de toujours.

Celui que l’on appelle aussi « le Tigre » avait pourtant fait de son mutisme un rempart aux enquêtes. Il avait affermi son statut de chef sans compromission, garant des codes d’une société criminelle ayant infiltré tout ce que ce territoire agricole jouxtant les faubourgs nord de Naples pouvait offrir de richesses. Traitement des déchets, immobilier, production de mozzarella : « Sandokan » a transformé la Camorra de Casal di Principe en une puissante mafia entrepreneuriale, recyclant ses profits bien au-delà de la Campanie, au prix d’un équilibre de la terreur entre alliances d’intérêts et massacres ciblés.

Depuis mars, le vieil homme barbu se confesse devant un magistrat du parquet antimafia de Naples plusieurs fois par semaine. Le contrat est simple : s’il détaille, sans détour, les zones d’ombre du pouvoir des Casalesi – leurs trésors introuvables, les noms des hommes d’affaires et des politiciens compromis, etc. –, il pourra éviter de finir son existence sous le régime carcéral impitoyable du « 41 bis », réservé aux mafieux et aux terroristes. Mais, en agissant de la sorte, il fissure à jamais sa statue de chef charismatique et pulvérise du même coup son héritage criminel, partagé entre ses cinq descendants mâles, Carmine, Walter, Nicola, Ivanhoe et Emanuele Libero.

Parmi ceux qui connaissent le mieux son clan, le doute demeure : en agitant le drapeau blanc, ce chef de guerre et négociateur matois n’opère-t-il pas, là encore, un mouvement stratégique ? L’un de ses plus coriaces adversaires, le maire sortant de Casal di Principe, Renato Natale, 73 ans, ne cache pas qu’il a lui-même été surpris en apprenant la nouvelle. « C’est une décision à prendre avec des pincettes. Si ce qu’il dit est réel et concret, alors on pourra se réjouir, mais, au-delà de ce qu’il raconte, l’important est que “le Tigre” a lâché prise », analyse ce petit homme assis dans le bureau aux murs blancs qu’il occupe pour quelques jours encore avant de passer la main après les élections municipales conclues ce lundi 24 juin à 15 heures. « On est dans une situation d’incertitude, poursuit l’édile. Je me souviens comment sont nés ces boss : ils étaient d’abord des petits délinquants. Alors, vu le contexte historique, chaque groupuscule aujourd’hui en phase de création peut être très dangereux. »

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