- Dans un avis scientifique publié fin septembre, le Ciem a recommandé une diminution de 77% des captures de maquereaux.
- Selon l’organisme, la biomasse du stock est désormais passée sous un seuil critique.
- Mais la gestion de ce poisson, prisé des pêcheurs français, mais aussi norvégiens ou islandais, est critique.
C’est un petit poisson qui regroupe un peu tous les maux de la pêche. Absence de politique commune, surpêche, changement climatique… Le maquereau de l’Atlantique est en crise. Dans un avis rendu fin septembre (nouvelle fenêtre), les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem) ont recommandé une baisse de 77% des captures de cette espèce pour 2026. Un coup de tonnerre pour les pêcheurs français et une situation qui met en lumière la mauvaise gestion de cette ressource, sur laquelle les alertes se multiplient depuis plus d’une dizaine d’années.
« Depuis quinze ans, en moyenne, on pêche 39% au-dessus de ce que recommandent les scientifiques »
, pointe Édouard Le Bart, responsable du MSC en France (nouvelle fenêtre), ONG qui attribue un label « pêche durable » aux produits issus de la mer. Mais cela fait maintenant plusieurs années que le maquereau n’en bénéficie plus. Et pour cause, selon le Ciem, désormais, « la biomasse du stock est passée sous le seuil critique »,
c’est-à-dire qu’il y a danger pour la reproduction du maquereau. Une question centrale alors que les États concernés, après s’être réunis en octobre, tenteront de se mettre d’accord mi-novembre sur les quotas autorisés en 2026, notamment autour de cette espèce.
Dispute en mer
Le maquereau est victime de la surpêche mais surtout, de l’incapacité des États côtiers qui l’exploitent à se mettre d’accord. D’autant plus difficile que l’espèce dispose d’une aire de répartition très importante. En Europe, il est pêché notamment par l’Espagne, la France, mais aussi le Royaume-Uni, la Norvège, l’Islande, les îles Féroé et le Groenland. Et ces dernières années, il aiguise les appétits : son prix de vente au kilo a augmenté d’environ deux euros depuis quatre ou cinq ans.
D’où une gestion complexe de cette ressource. « Les Islandais et les Norvégiens, entre autres, font la loi sur l’espèce et jusqu’à présent, ils prenaient ce dont ils avaient besoin pour leurs usines, pour leur pêche minotière et ils nous laissaient le reste »,
dénonce José Jouneau, ancien pêcheur et président du comité régional des pêches des Pays de la Loire. Une situation « inadmissible »
pour Bruno Margollé, en activité et vice-président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). « Cela fait cinq ans
que ces pays pêchent à outrance malgré les avis scientifiques alarmants
et aujourd’hui, c’est l’Union européenne qui paie l’addition ».
Du côté du gouvernement français, on est bien conscients du problème. Le ministère de la Mer reconnaît une « conséquence directe de l’absence de coopération entre les États côtiers : aucun accord de répartition n’a pu être obtenu depuis 2014 ».
Ainsi, pointe-t-on au ministère, « certains États côtiers, depuis des années, s’octroient des quotas supérieurs à ceux prévus dans l’accord de 2014, contrairement à la France qui respecte les quotas qui lui sont attribués ».
Un petit poisson de plus en plus précieux
Et ces dernières années, la situation n’a cessé de se détériorer avec le changement climatique qui vient percuter de plein fouet l’activité des pêcheurs, en modifiant notamment les aires de répartition de certaines espèces, dont celle du maquereau. Ses populations migrent plus au nord pour trouver des eaux plus froides dans un océan qui se réchauffe. Les Îles Féroé, la Norvège et l’Islande demandent donc de plus en plus de quotas en raison des volumes croissants près de leurs côtes, tandis que l’UE conserve sa clé de répartition historique.
Car avec la disparition de certaines espèces sur les côtes françaises, le maquereau est devenu un produit important pour le secteur dans l’Hexagone, souvent pêché comme un complément pour compenser les pertes sur les autres poissons. « Il y a beaucoup d’espèces
dont on ne s’occupait pas avant
et auxquelles on fait attention maintenant,
détaille José Jouneau. Et pour la pêche artisanale, le maquereau a toujours été un complément ».
C’est ce qui engendre aussi une montée de tension face aux recommandations du Ciem auprès des pêcheurs français. « On observe une légère diminution des maquereaux, mais on ne peut pas la quantifier, on continue d’en pêcher pas mal »,
avance ainsi Bruno Margollé qui se dit « pas d’accord avec les avis donnés sur les régions ».
Du côté du MSC, on reconnaît que « l’évaluation des poissons est complexe, on ne peut pas aller les compter comme des poules ou des vaches dans un champ ».
Toutefois, les estimations se font sur des critères précis qui permettent d’évaluer l’état des populations sur toute l’aire de répartition du poisson.
« Et la difficulté avec le maquereau, c’est qu’il a une aire de répartition gigantesque. Vous pouvez avoir certains endroits où il y en a moins et d’autres où le stock est toujours là. Mais on ne peut pas déterminer la santé d’une population à un endroit donné et à un instant T,
explique Édouard Le Bart. Je peux comprendre que sur certaines zones les pêcheurs observent encore pas mal de maquereaux, mais au global, les scientifiques alertent tous de manière assez claire sur le mauvais état du stock ».
Un « bordel » en 2026 ?
Reste que les pêcheurs français affirment se sentir « les dindons de la farce »
. « On demande déjà à ce que les États côtiers remboursent à l’Union européenne ce qu’ils ont trop pêché »
, réclame Bruno Margollé qui redoute, en cas de diminution des quotas, un « bordel sur toutes nos pêcheries »
l’année prochaine, après des baisses déjà importantes en 2024 (-22%) et 2025 (-33%). Évoquant une « catastrophe »
pour les flottilles, il avance son exemple : « Le maquereau représente 200.000 euros de chiffre d’affaires, soit 20% de mon activité »
, indique-t-il en redoutant de perdre « 70% de ces 20% »
.
José Jouneau réclame, lui, de prendre en compte « les contraintes des pêcheurs »
dans le calcul des quotas. « Le Ciem donne son avis et ses craintes sur les stocks, mais il n’est pas là pour donner les mesures de gestion, donc aux États membres et à la Commission européenne de prendre leurs responsabilités »,
estime-t-il.
Les ONG de défense des océans réclament, elles, une meilleure concertation dans les efforts de pêche et poussent pour une baisse drastique des autorisations de capture. « Il va falloir les baisser de manière concertée et tout le monde doit se mettre d’accord sur des quantités globales, mais aussi sur comment se partager le gâteau, ce qui n’était pas le cas ces dernières années »,
pointe Édouard Le Bart. D’autant plus important que le maquereau fait partie de ce que l’on appelle les espèces « fourrages », cruciales pour les écosystèmes marins puisqu’à la base de la chaîne alimentaire.
Les prochaines discussions au sein de la Commission des Pêcheries de l’Atlantique Nord-Est (CPANE), qui se tiendront du 11 au 14 novembre prochain, s’annoncent ainsi tendues sur le dossier. Le ministère de la Mer se dit lui « extrêmement vigilant sur le sujet »
et promet de « défendre les intérêts des pêcheurs français, en lien avec la Commission européenne ».
La ministre, Catherine Chabaud est d’ailleurs en visite, ce jeudi 30 octobre, au bureau du CNPMEM pour échanger avec les représentants de la filière. Pas de doute que la question du maquereau devrait tenir une bonne place dans les discussions.











