Dans les tragédies grecques, les protagonistes, mis au fait de leur destin, tentent par tous les moyens d’éviter ce qui les attend. Chacun de leurs efforts les rapproche pourtant plus encore de l’inéluctable. A voir les bancs du tribunal judiciaire de Paris garnis par les journalistes, ces mercredi 20, jeudi 21 et vendredi 22 novembre, pour suivre les audiences sur l’espionnage du journal Fakir par LVMH, cette leçon du théâtre antique reste d’actualité.
Au commencement de ce volet d’une information judiciaire à l’origine du renvoi devant le tribunal de dix personnes, il y a une inquiétude du groupe de luxe. Celle de voir perturbée son assemblée générale (AG) du 18 avril 2013 par Fakir, un journal fondé en 1999 à Amiens par François Ruffin. Et que ces actions soient médiatisées. « Ça attire du monde ! (…) Y a de la presse », explique Pierre Godé, alors numéro deux de LVMH, à Bernard Squarcini, ancien directeur du renseignement intérieur fraîchement remercié par François Hollande et sitôt devenu consultant. Et de suggérer, dans cette conversation téléphonique interceptée par la justice le 7 mars 2013 : « Ça peut être intéressant (…) de les infiltrer, non ? »
Outre les renseignements sur les actions prévues pendant les assemblées générales et sur les personnes y participant – cela donnera lieu à la création de trombinoscopes dans lesquels figurent parfois des numéros de téléphone, des informations familiales ou encore l’orientation politique des intéressés –, le groupe tentera de récupérer le documentaire Merci patron ! avant sa sortie, en 2016. Tourné par le fondateur de Fakir, François Ruffin, aujourd’hui député (divers gauche) de la Somme, le film suit un couple d’ouvriers paupérisé par la délocalisation de leur usine sous-traitante de LVMH. Entre 2013 et 2016, le suivi de Fakir coûtera plus de 2 millions d’euros au groupe de luxe, inégalement répartis entre des prestataires en cascade.
Rémunérations multipliées
Albert Farhat est le premier à se trouver directement au contact du journal. Le sexagénaire, qui se présente à l’audience comme un éminent reporter – « le seul à avoir interviewé deux fois Oussama Ben Laden » et honorable correspondant du renseignement extérieur il y a trente ans, appelle les responsables du journal pour se tenir au courant des actions. « J’ai fait le travail d’un journaliste, sans plus ! », affirme-t-il à la barre, malgré les nombreuses incohérences de son récit. Il a menti sur son identité, n’a publié aucune des informations glanées, qu’il a transmises pour 1 500 euros mensuels au consultant en antiterrorisme Jean-Charles Brisard.
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